Les sièges de style Louis XV
Les menuisiers en siège – c’est une spécialité au sein de la menuiserie – rivalisent de talent tout au long du 18e siècle. En effet, l’art de la conversation, la folie du jeu, le goût pour les réunions de famille et d’amis favorisent la diversification des sièges.
Quelques remarques avant de nous pencher sur ces différents sièges :
En presque trois siècles, les sièges ont beaucoup changé. Pensés pour s’intégrer parfaitement aux boiseries et aux autres meubles, ils prenaient place dans une pièce au décor homogène. Or, très souvent, ce contexte d’origine a disparu. On ne les voit plus qu’exceptionnellement dans la pièce qui leur était destinée.
De même, ils n’ont pas toujours conservé leur dorure ou leurs couleurs ; au 19e siècle, il était courant de les décaper.
Le siège est une œuvre collective. Un menuisier le bâtit, un sculpteur le décore, un peintre ou un doreur lui donne sa couleur, et enfin, un tapissier le garnit. Lorsqu’un siège est estampillé, il l’est du nom du menuisier. Jamais contraint à l’estampille, les sculpteurs ont sombré dans l’oubli.
Dès l’époque de la Régence, les sièges les plus luxueux ont un châssis amovible permettant de changer la garniture d’étoffe suivant les saisons.
Vers 1740 s’affirme le distinguo entre sièges à la reine et sièges en cabriolet.
« À la reine » ou « en cabriolet »
Les chaises et les fauteuils sont dits « à la reine » lorsque leur dossier est droit et « en cabriolet » lorsqu’il est courbe.

Fauteuil à la reine estampillé Jean Avisse (maître en 1745), hêtre sculpté et doré, vers 1750-1755 ; Los Angeles, The Paul Getty Museum

Fauteuil en cabriolet, hêtre sculpté et doré, garniture de tissu moderne, vers 1750-1760 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, Collection Jack et Belle Linsky, 1982
Le siège à la reine, héritage du Grand Siècle
Les sièges à la reine, plus guindés, sont en théorie « meublants ». Placés le long des murs, on les considère comme faisant partie des boiseries et ne sont pas destinés à être déplacés.

Une luxueuse chambre à coucher française, peinture sur porcelaine de Sèvres (peinte par Charles Nicolas Dodin, célèbre peintre de la manufacture), vers 1764 ; Londres, The Victoria and Albert Museum
Le sujet – une accouchée recevant des amies venues voir le bébé – est original. Il commémore la naissance de la petite-fille du marquis de Courteille, alors directeur de la manufacture de Sèvres.
Remarquons l’unité décorative : les sièges, le chevet et les courtines du lit sont tapissés de la même étoffe. De même, les meubles sont peints du même blanc que les boiseries.
En pratique, les sièges à la reine étaient déplacés vers le centre de la pièce en cas de besoin. D’ailleurs, ces sièges au dossier droit suivent la tendance générale des meubles sous Louis XV : ils s’allègent, devenant ainsi plus maniables.

Fauteuil à la reine estampillé Louis Delanois, noyer sculpté et doré, vers 1765 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, don de J. Pierpont Morgan, 1906
Notons que les chaises à la reine étaient plus rares que les fauteuils à la reine.

Chaise à la reine estampillée Michel Gourdin, hêtre sculpté et doré, garniture de tissue moderne, vers 1752-1760 ; New York, Metropolitan Museum of Art, collection Jack et Belle Linsky,1982
Le cabriolet, siège Louis XV par excellence
Fauteuils et chaises sont dits « en cabriolet » lorsqu’ils ont un dossier incurvé épousant le dos. Ce sont des meubles « courants », c’est-à-dire qu’on les déplace régulièrement. Au gré des besoins, on les dispose autour d’une table, on les rapproche du feu... Peu encombrants, légers, les cabriolets sont élégants et confortables. C’est d’ailleurs à une voiture légère, maniable, qu’il doit son nom.
Le siège en cabriolet apparaît vers 1740, à une époque où le décor sculpté des lambris se fait moins envahissant, se résumant à quelques fleurs. Les cabriolets s’accordent à leur environnement, rares sont les modèles très ouvragés et très dorés. Ils sont plutôt peints ou simplement cirés.
À chaque siège son usage… ou vice versa
Les menuisiers ont conçu de sièges pour s’asseoir ou s’allonger, pour jouer ou prier.
La bergère : un fauteuil à joues… avec ou sans oreilles
La bergère est un fauteuil à accotoirs pleins (joues). Elle est munie d’un épais coussin. Les premières bergères remontent à la fin du règne de Louis XIV ; elles sont donc de style Régence. Vers 1740, les modèles de bergère se diversifient.

Bergère à la reine et à châssis, assise cannée, estampillée Nicolas Quinibert Foliot, hêtre sculpté et doré, garniture de tissu moderne ; Los Angeles, The Paul Getty Museum, don de Gordon et Ann Getty

Bergère à la reine, à oreilles, vers 1730-1750 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, don de J. Pierpont Morgan, 1906. C’est un modèle un peu raide, dont les pieds sont reliés par une entretoise comme les imposants fauteuils d’époque Louis XIV
Comme le fauteuil, elle peut être à la reine ou en cabriolet :

Bergère à la reine (siège meublant), attribué à Louis Ier Cresson, hêtre sculpté et doré, vers 1765 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, don de M. et Mme Charles Wrightsman, 1971

Bergère en cabriolet (siège volant), bois fruitier sculpté et peint, vers 1750 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, don de J. Pierpont Morgan, 1906

Carmontelle,
La marquise
La marquise est une bergère large d’environ un mètre, trop large pour une personne, pas assez pour deux. Ce siège est encore rare à l’époque rocaille. On l’appelle alors « demi-canapé » ; le terme de « marquise » n’apparaît que vers 1770.

Marquise (bergère large) estampillée FCR Reuze, vers 1750 ; Paris, musée Carnavalet
La duchesse
Quand la bergère devient chaise longue, on parle de duchesse. Lorsqu’elle est d’un seul tenant, la duchesse est dite « en bateau ». Lorsqu’elle est scindée en deux, voire trois parties, elle est dite « brisée ». Quoi qu'il en soit, la duchesse présente toujours un haut dossier d'un côté et un beaucoup plus bas de l'autre.

Duchesse en bateau, hêtre, noyer sculpté, cannage, vers 1750 ; New York, Cooper-Hewitt Smithsonian Design Museum, don de Mme Howard J. Sachs and M. Peter G. Sachs en mémoire de Mlle Edith L. Sachs

Duchesse en bateau estampillée Claude Burgat, hêtre peint et doré, damas ; vers 1750 ; Paris, musée Carnavalet

Duchesse brisée en deux estampillée Louis Delanois, bois sculpté et doré, lampas de soie jaune moderne ; vers 1760 ; Paris, musée du Louvre, département des objets d’art

Duchesse brisée en deux ; les 2 éléments dissociés ; Louvre, musée du Louvre, département des objets d'art

Boudoir Louis XV (period room conçue par Narcissa Niblack Thorne dans les années 1930), vers 1740-1760 ; The Chicago Institute, don de Mme James Ward Thorne. Au premier plan se trouve une duchesse brisée.

Duchesse brisée en deux estampillée Sylvain-Nicolas Blanchard, bois , vers 1760 ; Paris, musée Carnavalet
Le canapé
Les canapés sont plus nombreux que du temps de Louis XIV. C’est un siège meublant, c’est-à-dire que son emplacement est fixe, contre un mur. Ses lignes épousent celles des boiseries. Conséquence : une fois séparé des boiseries, le canapé – au dossier étrangement incurvé – a une forme insolite. L’exemple des sièges du château d’Abondant (Eure-et-Loir), aujourd’hui conservé au Louvre, est saisissant.
Les canapés Louis XV sont parfois encore lourds et encombrants (comme sous Louis XIV). Cependant, des exemples de plus petites dimensions apparaissent.

Canapé estampillé Nicolas-Quinibert Foliot, hêtre sculpté et doré, tapisserie de Beauvais sur un dessin de Jean-Baptiste Oudry ; vers 1754-1756 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, don de Martha Baird Rockefeller, 1966

Canapé du grand salon du château d'Abondant attribué à Michel Cresson, bois sculpté et peint, garniture textile refaite à l’identique d’après un échantillon ; vers 1747 - 1750 ; Paris, musée du Louvre, département des objets d’art ©RMN-GP, Stéphane Maréchalle

Sièges du grand salon du château d'Abondant in situ ©RMN-GP, Daniel Arnaudet (1994)

Sièges du grand salon du château d'Abondant in situ ©RMN-GP, Daniel Arnaudet (1994)