Madame du Barry et Marie-Antoinette, la favorite et la dauphine

Madame du Barry est officiellement présentée à la Cour en 1769, un an avant l’arrivée de l’archiduchesse d’Autriche Marie-Antoinette.

La fille de rien et la fille de l'impératrice d'Autriche

Peu de temps après le décès de la reine Marie Leszczynska, Louis XV entame une liaison avec Jeanne Bécu, ancienne prostituée. […] Nous ne pensâmes point qu’une intrigue aussi basse pût avoir d’autres suites que celles de la fantaisie du moment […], écrit le duc de Choiseul dans ses Mémoires. Or, au grand dam de la Cour, il n’en est rien. Le roi était plus amoureux que jamais, à soixante ans, de la nouvelle dame. Elle l’amusait : il avait l’air rajeuni et n’avait jamais été plus gai. Il était fort aimable, plus parlant, mais il ne paraissait pas que Mme du Barry eût envie de se mêler d’intrigues ni des affaires, et qu’elle en resterait au point où elle en était , peut-on lire dans le Journal du duc de Croÿ au printemps 1770.

 

Jeanne Bécu devient Mme du Barry
Exceptionnellement belle, pimpante, consciente de son charme sans être vaniteuse, Jeanne Bécu est partout remarquée. Après avoir travaillé un temps comme coiffeuse, dame de compagnie puis vendeuse dans un magasin de mode, elle fait la connaissance du comte Jean-Baptiste du Barry. Noble désargenté venu du Gers faire fortune à Paris, il s’était lancé dans le jeu et le proxénétisme ; parmi ses meilleures recrues : Jeanne Bécu. De grands aristocrates la fréquentent. C’est par l’intermédiaire de l’un d’eux, le duc de Richelieu, que Jeanne a accès au roi, qui en tombe fou amoureux. Mariée en hâte à Guillaume du Barry, frère de son protecteur, Jeanne peut ainsi être officiellement présentée à la cour en tant que comtesse du Barry.

 

La petite archiduchesse 
Marie-Antoinette a quinze ans lorsqu’elle arrive à la Cour de Versailles, en 1770, pour épouser le dauphin – futur Louis XVI. Ce mariage scelle l’union diplomatique entre la France et l’Autriche. C’est encore une petite fille, prise entre les exigences politiques de sa mère et les coteries de la Cour. Celle-ci est alors divisée en deux camps : celui de Mesdames – filles de Louis XV – et celui des partisans de Mme du Barry, le plus puissant.   
Fille de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, Marie-Antoinette n’a que mépris pour l’ancienne prostituée devenue favorite. La comtesse du Barry quitte Versailles quelques jours avant le décès de Louis XV. L’humiliation d’être chassée de la Cour lui est ainsi évitée. Cependant, dès son avènement, Louis XVI lui ordonne de rejoindre le couvent du Pont-aux-Dames, près de Meaux, avec interdiction d’en sortir. La comtesse du Barry recouvre sa liberté au bout d’un an. Elle retrouve son domaine de Louveciennes, qu’elle agrémente d’un parc à l’anglaise. À la même époque, Marie-Antoinette – devenue reine – transforme les jardins de son domaine de Trianon.

Les mêmes goûts et les mêmes fournisseurs

 

Le goût de vivre « en particulière »

Chez la comtesse du Barry à Louveciennes
En 1769, Louis XV avait offert à Mme du Barry le château de Louveciennes, près de Versailles. La favorite avait alors commandé un pavillon de musique au jeune architecte Louis Nicolas Ledoux.
Le salon était ravissant : on y jouissait de la plus belle vue du monde, et les cheminées, les portes, étaient toutes du travail le plus précieux ; les serrures pouvaient être admirées comme des chefs-d’œuvre d’orfèvrerie, et les meubles étaient d’une richesse, d’une élégance au-dessus de toute description, relate Élisabeth Vigée Lebrun dans ses Souvenirs – lettre X, dans laquelle l’artiste évoque son séjour à Louveciennes en 1786.
C’est en présence de Louis XV que cette charmante construction néo-classique surplombant la Seine avait été inaugurée en septembre 1771.
Ce beau pavillon néo-classique était superbement meublé.
Le plateau repose sur un piètement tripode en acajou massif rehaussé de bronzes dorés. Un mécanisme permet au plateau de basculer, exposant au visiteur les scènes peintes sur porcelaine. « Le concert du grand sultan », d’après un tableau de Carl Van Loo, occupe le centre du plateau. Le pourtour est, lui, orné de six plaques représentant des scènes pastorales dans l’esprit de celles d’Antoine Watteau ou François Boucher. L’ensemble a été peint par Charles-Nicolas Dodin, peintre à la manufacture de Sèvres pendant un demi-siècle. Contrairement aux usages, Dodin a apposé son nom et la date de 1774 sur une des plaques.
Vers 1780, suivant la mode, Mme du Barry enrichit son domaine de Louveciennes d’un parc à l’anglaise, dont il ne subsiste pas grand-chose.
Chez la reine à Trianon
Vous aimez les fleurs, j’ai un bouquet à vous offrir, aurait dit Louis XVI à son épouse en lui faisant don du Petit Trianon. La jeune souveraine en fait immédiatement son refuge, qu'elle agrandit, transforme et embellit, au pas de charge et sans compter. Elle flanque Trianon de chinoiseries, fait construire un théâtre, transforme les terrains alentour en parc à l’anglaise : les chemins et la rivière artificielle suivent un tracé sinueux et de petites constructions (les fabriques) invitent le promeneur à la rêverie.
Elle fait aussi détruire le jardin botanique de Louis XV, comme le déplore le duc de Croÿ : Je crus être fou ou rêver de trouver à la place de la grande serre chaude qui était la plus savante et chère de l’Europe, des montagnes assez hautes, un grand rocher et une rivière. Jamais deux arpents de terre n’ont tant changé de forme ni coûté tant d’argent.
La reine s’inspire de jardins contemporains tel celui du duc de Chartres près de Paris (actuel parc Monceau), où se trouvait un spectaculaire jeu de bague chinois, une sorte de manège, depuis longtemps détruit.
Cette image nous montre des joueurs et joueuses qui, à l’aide d’un petit bâton tentent de s’emparer d’anneaux de métal (les bagues). L’axe central du manège est orné de figures de « Chinois ». Les jardins sont alors des lieux de promenade, mais aussi d’amusement.
De sa chambre au Petit Trianon, Marie-Antoinette avait une très jolie vue sur le temple de l’Amour, petite construction ronde aux colonnes corinthiennes supportant une coupole entièrement sculptée.
Le temple de l'Amour, que les visiteurs admirent encore aujourd'hui, est construit sur une île.
On aperçoit le temple de l’Amour sur ce portrait de Marie-Antoinette et de ses enfants.
Le petit temple à l’antique – inspiré du temple de la Sybille à Tivoli (Latium) – est devenu un modèle de fabrique très courant dans les jardins anglais. Les peintres du temps l’ont aussi décliné dans nombre de leurs œuvres.
Ce tableau fait partie d’un ensemble de six commandés pour orner une chambre de Bagatelle, petit château construit pour le comte d’Artois – frère de Louis XVI et futur Charles X –, dont Marie-Antoinette était très proche. Ce temple antique laissé à l'abandon, comme le temple de la Piété filiale de Méréville, n'est pas sans rappeler le temple de l'Amour du Petit Trianon.

 

Pendant quelques années, ces jardins sont le cadre de somptueuses fêtes, telle celle donnée en 1781 en l’honneur du comte de Provence (frère de Louis XVI). Les jardins étaient alors mis en lumière.
La nature – réelle et feinte – est partout présente au Belvédère – salon octogonal érigé sur une colline. Des arbres enveloppent l’arrière de cette fabrique tandis que l’intérieur est entièrement peint de guirlandes, de rubans et de trophées de jardinage. La coupole est ornée d’un superbe trompe-l’œil : un ciel légèrement nuageux, une balustrade sur laquelle se penche un putto portant une corbeille de fleurs.
 

 

À l’extérieur, chacune des quatre fenêtres est surmontée d’une allégorie des saisons.
Le mobilier conçu pour le Belvédère est aussi une ode à la nature, comme le montre cette chaise – qui faisait partie d’un ensemble de chaises et de bergères livré au Belvédère en 1781. Elle est aujourd’hui présentée dans le salon de compagnie du Petit Trianon.
Dans les années 1780, la reine confie à l’architecte Richard Mique et au peintre Hubert Robert la conception de la fabrique la plus aboutie : un hameau composé de maisons paysannes autour d’un lac artificiel, lac lui-même surmonté d’une étonnante tour.
Ces maisons sont à la fois modestes et sophistiquées à l’extrême. Les archives nous apprennent qu’elles ont été « peintes en vétusté » afin d’évoquer la simplicité de l’habitat paysan, mais aussi qu’elles étaient luxueusement aménagées.
Quatre encoignures identiques ornaient chaque angle de la salle à manger de la reine au hameau.
De même, certains pavillons n’ont pas la fonction qu’ils semblent avoir ; le moulin par exemple n’a jamais été muni d’un mécanisme permettant de mettre la roue en mouvement.
À Trianon, le promeneur est plongé dans la nature idéalisée des tableaux de François Boucher, où règnent légèreté et goût du bonheur. Les bergers portent des bas de soie et les bergères de superbes robes.
Le goût de Marie-Antoinette et de nombre de ses contemporains pour la nature – certes remodelée par la main de l’homme – fait écho à l’éloge de la vie champêtre par Jacques-Jacques Rousseau dans La Nouvelle Héloïse. Publiée en 1761, l’œuvre a connu un immense succès.
Cependant, le hameau de Marie-Antoinette n’est pas non plus le village d’opérette que ses détracteurs ont dépeint. De véritables paysans y vivaient, s’occupant des champs alentours et de la ferme – située quelque peu en retrait afin que la reine et ses invités ne soient pas incommodés par des odeurs trop rustiques.
À Trianon, Marie-Antoinette vit en particulière, elle peut être seule ou recevoir qui elle veut quand elle le souhaite, loin de l’étiquette régnant à la Cour. […] Elle [la reine] entrait dans son salon sans que le piano-forte ou les métiers de tapisseries ne fussent quittés par les dames, et les hommes ne suspendaient ni leur partie de billard, ni celle de tric-trac, nous apprend Mme Campan.
La simplicité – certes relative – était aussi de mise dans l’habillement : Une robe de percale blanche, un fichu de gaze étaient la seule parure des princesses ; le plaisir de parcourir toutes les fabriques du hameau, de voir traire les vaches, de pêcher dans le lac, enchantait la reine […], poursuit la première femme de chambre de la souveraine.
Cette possibilité d’intimité que s'autorise Marie-Antoinette, inédite pour une reine, suscitera bien des ragots, attisés par les jaloux jamais invités à Trianon.

 

Les beaux meubles des deux dames

Marie-Antoinette et la comtesse du Barry apprécient les beaux objets et se font livrer les plus beaux meubles de style Transition, et bientôt, de style Louis XVI. Plusieurs leur sont fournis par le marchand-mercier Simon-Philippe Poirier, qui avait un quasi-monopole sur l’achat de plaques de porcelaine de Sèvres.
En 1770, l’année de leur mariage, le dauphin a offert à Marie-Antoinette un coffre à bijoux. Le cadeau est probablement le prototype d’une série de huit, tous réalisés par Martin Carlin. Mme du Barry en a acquis un.
Martin Carlin (v. 1730-1785), ébéniste originaire de Fribourg-en-Brisgau et installé au faubourg Saint-Antoine, était le beau-frère du grand ébéniste mécanicien Jean-François Oeben, concepteur du bureau à cylindre de Louis XV.
Entre 1765 et 1778, Martin Carlin a réalisé environ quatre-vingts meubles ornés de plaques de porcelaine, fournies par Simon Poirier, puis par son associé et successeur Dominique Daguerre.
 
Aujourd’hui, on recense onze bonheurs-du-jour de ce modèle attribué à Martin Carlin. Celui-ci, conservé au Metropolitan Museum, serait celui qui ornait l’appartement de Mme du Barry au château de Versailles. En effet, la date de 1768, peinte au revers de plusieurs des plaques de porcelaine, concorde avec la présence à la cour de la comtesse.
Le Louvre conserve la commode qui a précipité l’arrestation de la comtesse du Barry pendant la Révolution.
En janvier 1791, alors qu’elle se trouve à Paris, le domaine de la comtesse du Barry à Louveciennes est cambriolé. Les voleurs fracturent la commode de Carlin qui contenait presque tous ses bijoux de grande valeur : une centaine de gros diamants, sept cents brillants et trois cents grosses perles. Une véritable fortune que la comtesse entend récupérer. Elle fait imprimer l’inventaire des objets dérobés, qu’elle fait placarder sur les murs et publier dans les gazettes. En pleine incertitude politique, elle attire malencontreusement l’attention des Français, qui estiment que cette richesse, due à la faveur royale, provient des caisses de l’État. Un des voleurs est finalement arrêté en Angleterre ; Mme du Barry multiplie les séjours outre-Manche pour récupérer ses bijoux, en vain. Au printemps 1792, son compagnon, le duc de Brissac, est emprisonné à Orléans, accusé de comploter contre la Révolution ; il sera victime des massacres de septembre. Elle repart à Londres, où elle reçoit les aristocrates français émigrés. Ses faits et gestes sont rapportés à Paris. À son retour en France, elle est évidemment considérée comme suspecte, arrêtée et emprisonnée. Malgré l’aide des habitants de Louveciennes qui, par pétition, attestent de sa générosité, c’est la favorite de Louis XV que l’on juge. Le réquisitoire de Fouquier-Tinville est sans appel ; elle est condamnée à mort. Pour tenter d’échapper à la guillotine, elle révèle l’endroit où elle a enterré ses derniers bijoux à Louveciennes.
La reine et la comtesse seront toutes deux guillotinées en 1793, à deux mois d’intervalle.
À voir, à écouter, à lire :
Marie-Antoinette, film de Sophia Coppola, 2006
Jeanne Du Barry, film de Maïwenn, 2023
 
Mme du Barry, faste et solitude podcast de Philippe Colin, Radio France

 

Stefan Sweig, Marie-Antoinette, 1932
Simone Bertière, Marie-Antoinette, l’insoumise, 2002
Antoine de Waresquiel, Jeanne du Barry, une ambition au féminin, 2023