Sièges
Le banc et le tabouret étaient les sièges les plus courants au Moyen Âge et à la Renaissance. La plupart ont bien sûr disparu.

Fra Angelico, « La communion des apôtres », fresque, 1440 ; Florence, couvent San Marco (cellule 35)

Tabouret, chêne, 15e siècle, France ou Pays-Bas du Sud (actuelle Belgique) ; New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1947
Souvent très simple, le banc pouvait être agrémenté d’un dossier, de côtés et d’un repose-pied, comme nous le montrent nombre de tableaux flamands de la fin du Moyen Âge.

Atelier de Robert Campin (Maître de Flémalle), « Annonciation » (panneau central d’un triptyque dit « Triptyque de Mérode »), huile sur bois, Tournai (Pays-Bas du Sud), vers 1427-1432 ; New York, The Metropolitan Museum of Art ©The Cloisters Collection, 1956
Un long banc est placé devant la cheminée. Il est muni de côtés ornés d’arcatures gothiques, d’un dossier et d’un repose-pied.

Entourage de Robert Campin (Maître de Flémalle), « Sainte Barbe » (panneau latéral du « Triptyque de Werl »), huile sur bois, 1438 ; Madrid, musée du Prado
Sainte Barbe, également représentée dans un riche intérieur flamand, est assise sur un banc dont le dossier est réduit à une simple barre de bois rendue amovible par un mécanisme en métal fixé aux montants : c’est un banc à tournis.
Chaque saint est représenté avec un attribut qui lui est propre afin de le rendre identifiable. Barbe, martyre du 4e siècle, est toujours associée à la tour dans laquelle son père, un roi païen, l’avait enfermée et où elle s’était convertie au christianisme. Sur cette œuvre flamande, la fenêtre donne sur un paysage et une tour.

Jean Bourdichon, « La Noblesse » ou « L’homme riche », enluminure (détail), entre 1500 et 1510 ; Paris, école nationale supérieure des Beaux-Arts
Les parents sont assis sur un banc à tournis, dont le dossier amovible permettait de s’asseoir au choix face à la cheminée ou dos à celle-ci. Très peu de ces bancs sont conservés.

Banc à tournis, France, 15e siècle ; château de Martainville (Seine-Maritime), musée des traditions et arts normands
La chaire, le coffre devenu siège
La chaire (du latin cathedra, « siège » – plutôt à dossier) est liée à l’autorité. C’est un petit coffre – l’abattant fait office de siège – que l’on a enrichi d’accotoirs pleins et d’un haut dossier.

Chaire, 16e siècle ; Avignon, palais des Papes
Cette chaire associe les plis de serviette – motif omniprésent à l’époque gothique – et les entrelacs et les bustes en médaillon caractéristiques de la Renaissance.

« Guillaume de Digulleville s’endormant », enluminure extraite d’une copie de la fin du 15e siècle du poème « Le pèlerinage de la vie humaine », composé au 14e siècle par le moine Guillaume de Digulleville ©Bibliothèque municipale de Soissons
Siège lié à l’autorité, la chaire prenait place dans la chambre du maître de maison, tout près du lit. Sur cette enluminure, on distingue nettement des arcatures gothiques sur le dossier et des plis de serviette sur le devant du siège. Un carreau (du latin quadrus, « carré ») – c’est-à-dire un coussin – rend le siège moins inconfortable.

Gerard David, « L’Annonciation », huile sur bois, vers 1490 © The Detroit Institute of Arts
L’archange Gabriel annonce à la Vierge qu’elle va engendrer le fils de Dieu ; la colombe du Saint-Esprit atteste du caractère sacré de l’événement représenté. Comme souvent, la scène religieuse est transposée dans un bel intérieur contemporain du peintre, en l’occurrence une chambre. À l’arrière-plan se trouvent un lit et une chaire. Le lit, très haut, est surmonté d’un dais de mêmes dimensions que la couche. Ce dais est supporté par quatre colonnes ; il maintient des rideaux (courtines) qui, la nuit, étaient fermés afin de protéger les dormeurs des courants d’air.
Notons que le luxe de la chambre médiévale tenait en grande partie à son aménagement textile (courtines, tapisseries sur les murs).
La Vierge et les saints sont souvent représentés assis sur une chaire.

Vierge à l’Enfant, peut-être créée en Flandres, ivoire, vers 1500 ; Paris, musée du Louvre, département des objets d’art ©GP-RMN/Stéphane Maréchalle

La même Vierge à l’Enfant, vue de dos •GP-RMN/Stéphane Maréchalle
Intellectuels et scribes, eux aussi, sont souvent figurés assis sur une chaire. Il semblerait qu’un pupitre pouvait y être fixé.

Maître du Boèce flamand (peintre) « Flavius Josèphe dans son cabinet », peinture et or sur parchemin, 15e siècle ; Paris, BnF, département des Manuscrits

« Lawrence de Durham écrivant », enluminure, 2e moitié du 12e siècle ; Angleterre, Durham, Palace Green Library, Durham University
D’ingénieux mécanismes, depuis longtemps oubliés, ont été imaginés par les moines copistes qui restaient des heures dans la même position à écrire. Ici, le pupitre est fixé sur des bras mobiles. Ceux-ci sont glissés dans les montants de la chaire dans lesquels on a ménagé une fente.

« Charles V, protecteur des lettres », traduction à la demande de Charles V du « Policraticus » de Jean de Salisbury, peinture sur parchemin, Paris, 1372 ; Paris, BnF, département des Manuscrits
Le Policraticus est un traité de réflexion et de morale politique rédigé en 1159 par Jean de Salisbury. Charles V en assura la diffusion en chargeant le franciscain Denis Foulechat de le traduire en français.
Le roi, facilement identifiable à son manteau bleu fleurdelysé et à sa couronne, trône sur une imposante chaire enrichie d’un dais de bois. À ses côtés se trouve une « roue », un meuble dont le plateau circulaire pivotait sur un axe, permettant de consulter plusieurs ouvrages simultanément. Nous le voyons ici dans sa « librairie » – terme qui signifiait « bibliothèque » au Moyen Âge. Le souverain est aussi représenté en instrument de la volonté divine : la main de Dieu le bénit.
Charles V, qui a régné sur la France de 1364 à 1380, était féru de culture. On lui doit, entre autres, la transformation de l’austère forteresse du Louvre, défendant l’ouest de Paris, en un luxueux et confortable château. Une enluminure des frères de Limbourg nous donne une idée de ce palais au sein duquel le roi s’était fait aménager une « librairie ».

Frères Limbourg, détail de l’enluminure illustrant le mois d’octobre des Très Riches Heures du duc de Berry, enluminure commencée par les frères Limbourg (ils ont peint le Louvre entre 1411 et 1416), puis complétée par Barthélemy d’Eyck vers 1445 ; peinture sur vélin ; Chantilly, musée Condé
Les Très Riches Heures du duc de Berry sont un livre de prières, commandé aux frères de Limbourg vers 1411 par le duc de Berry – un des frères du roi Charles V. Les frères de Limbourg meurent tous les trois en 1416, peut-être de la peste. Plusieurs peintres enlumineurs se sont succédé au cours du 15e siècle pour achever ce travail.
L’enluminure qui illustre le mois d’octobre nous montre les semailles : un paysan à cheval laboure le champ, tandis qu’un autre l’ensemence. Les semis sont protégés par un filet et un épouvantail qui adopte la forme d’un archet. À l'arrière-plan, nous distinguons le Louvre : Charles V a fait transformer l'austère forteresse de Philippe Auguste en château agréable à vivre.

Charles V et Jeanne de bourbon, pierre calcaire, entre 1365 et 1380 ; Louvre, département des sculptures françaises © Pierre Philibert
Les statues du couple royal ornaient peut-être une façade du palais du Louvre – façade détruite au 17e siècle. Les attributs – un sceptre et la maquette d’une chapelle pour le roi, un sceptre et un livre pour la reine – ne sont pas d’origine. Ils ont été reconstitués au milieu du 19e siècle ; on ignore ce que les souverains tenaient à l’origine.

Les frères de Limbourg, « Sainte Catherine étudiant », enluminure (détail) du manuscrit « Les Belles Heures de Jean de France, duc de Berry », probablement réalisé à Paris, tempera ; or et encre sur vélin ; entre 1405 et 1409 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1954
Comme Charles V, sainte Catherine est assise sur une chaire surmontée d’un dais de bois. Elle lit un ouvrage posé sur son pupitre près duquel se trouve une « roue ».
Certaines chaires, plus imposantes, devaient servir dans les églises.

Chaire fabriquée en France (en Touraine ?), chêne, vers 1500 ; Nexw York,The MetropolitanMuseum of Art, don de J. Pierpont Morgan, 1916
Les stalles (du latin tardif stare, « se tenir debout ») forment des rangées de sièges dans le chœur d’une église. Le siège proprement dit est un abattant que le moine relève ou rabat selon les exigences de la liturgie. Sous l’abattant est ajoutée une partie en saillie (la bien nommée miséricorde), qui lorsque l’abattant est relevé permet au moine de poser ses fesses tout en donnant l’impression d’être debout. On parlerait aujourd’hui de strapontins.

Stalles, chêne, vers 1530, chœur de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation, Bourg-en-Bresse (Ain – Auvergne-Rhône-Alpes)

Les frères Limbourg, « Saint Jérôme habillé en femme », enluminure du manuscrit « Les Belles Heures de Jean de France, duc de Berry », probablement réalisé à Paris ; tempera, or et encre sur vélin ; entre 1405 et 1409 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, The Cloisters Collection, 1954
À l’arrière-plan de cette enluminure, on distingue des moines assis sur des stalles.
Les 15e et 16e siècles nous ont laissé de superbes stalles ; celles de la cathédrale d’Amiens forment le plus bel ensemble parvenu jusqu’à nous.

Stalles dans la nef de la cathédrale d’Amiens (Somme – Hauts-de-France), chêne, 1508-1520 environ

Stalles de la cathédrale d’Amiens (Somme – Hauts-de-France), chêne
Les dorsaux des stalles d’Amiens sont sculptés de fleurs de lys, symbole marial par excellence – comme de nombreuses cathédrales, celle d’Amiens est dédiée à la Vierge.
Séparations entre les sièges, accoudoirs et miséricordes sont souvent joliment sculptés.

Miséricorde des stalles de l’ancienne abbaye Saint-Lucien de Beauvais, bois, fin 15e siècle ; Paris, musée national du Moyen Âge-Thermes de Cluny
Les miséricordes étant placées sous le postérieur des utilisateurs des stalles, elles sont de préférence sculptées de scènes profanes, parfois satiriques. Ici : des porcs jouant de l’orgue.
Dans la France du 16e siècle, apparaît la caquetoire (de caqueter, « bavarder »). Plus légère que la chaire – le coffre a disparu et les accotoirs sont évidés –, elle se déplace plus aisément. On peut l’approcher de la cheminée et ainsi caqueter au coin du feu !

Caquetoire anglaise inspirée d’un modèle français, chêne, milieu XVIe siècle, Londres, Victoria and Albert Museum
Le dossier est richement sculpté de motifs Renaissance. Les pieds sont reliés par une entretoise formant un H. On sent poindre ce qu’on appellera bientôt le fauteuil (ou chaise à bras).

Caquetoire, noyer, entre 1550-1600 ; Paris, musée du Louvre, département du mobilier et des objets d’art ©Philippe Fuzeau
Le dossier de la caquetoire du Louvre est richement sculpté – et par conséquent probablement inconfortable ! Diane, déesse de la chasse et de la Lune, se tient debout dans une niche. Elle tient son arc d’une main et prend une flèche dans son carquois de l’autre.
Les bras du siège, légèrement courbes, se terminent en tête de bélier.

La même caquetoire (détail du dossier) © Philippe Fuzeau

La même caquetoire (détail de l'accotoir) © Philippe Fuzeau

La même caquetoire (détail de l’assise) © Philippe Fuzeau
Sur la ceinture de l’assise (et au-dessus du dossier), des incrustations de différents bois forment une frise décorative. Ce n’est pas encore de l’ébénisterie – technique qui va se développer au 17e siècle grâce à l’arrivée en Europe de bois exotiques, au premier rang desquels l’ébène –, mais on s’en approche.
Sgabello et Savonarole
Mentionnons pour terminer deux sièges italiens de la Renaissance : le sgabello et le « fauteuil Savonarole ».
Le sgabello (du latin scabellum, « escabeau, petit banc ») est un tabouret auquel on a ajouté un dossier. Celui portant les armes des Strozzi, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York, est un des plus beaux exemples qui nous soient parvenus.

sgabello attribué à l’atelier florentin de Giuliano et Benedetto da Maiano ; noyer, érable, bois noirci, traces de dorure et de peinture, vers 1489-1491 ; New York, The Metropolitan Museum of Art ©Fonds Fletcher, 1930

Sgabello Strozzi (détail du dossier) ©New York, The Metropolitan Museum of Art

Sgabello Strozzi (détail du dossier) ©New York, The Metropolitan Museum of Art

Sgabello Strozzi (détail du dossier) ©New York, The Metropolitan Museum of Art

Sgabello, bois de noyer sculpté et partiellement doré, vers 1580-1600 ; Londres, Victoria and Albert Museum

Le même sgabello vu de l'arrière ©Victoria and Albert Museum
Le siège « Savonarole » est également caractéristique de la Renaissance italienne. On lui a donné le nom du prédicateur dominicain Girolamo Savonarola (1452-1498) – francisé en Jérôme Savonarole.

Siège dit « Savonarole », bois de noyer tourné et sculpté, parties d’origine du 15e siècle, parties du 19e siècle ; New York, The Metropolitan Museum of Art ©Collection Robert Lehman, 1975

Le même siège Savonarole vu de côté ©New York, The Metropolitan Museum of Art

Girolamo Romanino, « Le banquet », fresque, vers 1520 ; château de Malpaga, près de Bergame (Lombardie)
Cette fresque représente le banquet donné par le condottiere Bartolomeo Colleoni en son château de Malpaga en l’honneur du roi Christian Ier du Danemark en 1474. Les convives ont pris place sur des sièges à la Savonarole.

Fra Bartolomeo, « Portrait de Girolamo Savonarola » (Jérôme Savonarole en français), huile sur bois, vers 1497-1498 ; Florence, musée de San Marco
Qui était Savonarole ?
Le prieur du couvent de San Marco a exercé une très forte influence sur les Florentins des années 1480 et 1490. Il fustige la corruption morale des élites, notamment cléricales, qualifiant d’antéchrist le pape Alexandre VI (Rodrigo Borgia).
1494 : Laurent le Magnifique est mort deux ans plus tôt. Son fils Pierre II, qui lui a succédé, est incompétent ; il s’enfuit devant la menace des troupes françaises. Celles-ci, menées par le roi Charles VIII qui ambitionne de conquérir le royaume de Naples, sont aux portes de Florence. L’angoisse des Florentins est à son comble. Savonarole est alors en mesure d’imposer sa vision du monde et instaure un régime théocratique (1494-1498). Le luxe est désormais banni. Le 7 février 1497 par exemple, un « bûcher des vanités » voit disparaître nombre d’œuvres d’art et d’objets précieux.
Les Florentins finissent par se lasser de l’intransigeance de Savonarole et la menace française s’est éloignée. Alexandre VI engage un procès contre lui. Le moine est emprisonné et torturé, avant d’être supplicié en place publique.

« Le supplice de Savonarole », artiste anonyme ; Florence, musée de San Marco