Les sièges Transition
Les menuisiers en sièges de l’époque Transition font preuve d’une grande inventivité. Parmi les plus talentueux, Georges Jacob (1739-1814) est à l’origine d’une dynastie d’artisans – les Jacob-Desmalter – en activité jusqu’au milieu du 19e siècle.

Fauteuil estampillé G IACOB, noyer sculpté et doré, vers 1770-1780 ; New York, Metropolitan Museum of Art, Fonds Rogers et John Stewart Kennedy,1928
La courbe héritée du style Louis XV reste bien présente. Notons cependant une nouveauté qui deviendra une des caractéristiques des sièges Louis XVI : les dés de raccordement assurant la jonction entre le pied et l’assise. Sur cet exemple, ils sont sculptés d’une palmette, motif issu du répertoire antique à l’instar des postes et des rais-de-cœur ornant la ceinture et le dossier.
Les dés de raccordement soulignent la structure du siège, c’est-à-dire le travail du menuisier.

Estampille de Georges Jacob sur le même fauteuil
Cette marque – placée à l’intérieur de la traverse avant du précédent siège – est l’occasion de rappeler qu’un tel fauteuil est l’œuvre de plusieurs artisans : le menuisier en sièges – en l’occurrence Georges Jacob –, le sculpteur, le peintre-doreur et enfin le tapissier. En effet, le travail artisanal était strictement réglementé par le système des corporations et un artisan ne pouvait pratiquer qu’un seul métier. Un menuisier en sièges ne pouvait ni sculpter ni dorer sans se mettre en contradiction avec la loi, et ce, jusqu’à l’abolition du système des corporations pendant la Révolution française.
Quand estampille il y a sur un siège, c’est celle du menuisier en sièges – celui qui a taillé et tourné les différentes pièces de bois et réalisé les assemblages, donnant au siège sa forme générale. C’est grâce à leur estampille que l’on connaît encore le nom de nombreux menuisiers. Après le menuisier, intervenait le sculpteur qui donnait au siège son décor, donc une grande partie de son charme ; c’est d’ailleurs lui qui facturait le plus cher. Cependant, comme il n’apposait pas de marque, il restait souvent anonyme à l’instar du peintre-doreur, qui lui mettait en couleur. En revanche, le tapissier qui garnissait, sanglait et recouvrait le siège de tissu, en assurait aussi la livraison au client. Il a donc souvent laissé son nom dans les documents (registres, factures).

Marquise attribuée à Georges Jacob, vers 1770 ; Paris, musée Carnavalet
Nous retrouvons la même forme de pied sur cette marquise probablement conçue par Georges Jacob. Sur la traverse arrière, une marque au fer indique qu’elle a été fournie au domaine de Chanteloup (près d’Amboise), propriété du marquis de Choiseul, puissant ministre de Louis XV tombé en disgrâce à la fin du règne.

Bergère estampillée Georges Jacob et portant la marque du château de Chanteloup, hêtre sculpté et doré, garniture d’origine, vers 1770-1780 ; Los Angeles, The J. Paul Getty Museum
Cette bergère a la particularité d’avoir conservé sa garniture textile d’origine (soie).
La sculpture est souvent abondante : feuillages, bouquets ou guirlandes de fleurs, nœuds et motifs antiquisants se déploient sur le dossier, les supports d’accotoir, la ceinture et les pieds. L’asymétrie, caractéristique du plus beau style rocaille, est totalement abandonnée.

Fauteuil à la reine, estampillé Jean Boucault ; hêtre doré, tapisserie d’Aubusson illustrant la fable du renard et de la cigogne de Jean de la Fontaine, vers 1765 ; Paris, musée Carnavalet
Sur cet exemple, les lignes sont encore galbées – même si le galbe se raidit –, mais le dé de raccordement est présent et le sabot est surmonté d’un motif de grecque (venu de l’Antiquité).

Bergère en cabriolet estampillée Claude-Louis Burgat, hêtre sculpté et doré, vers 1760–70 ; New York, Metropolitan Museum of Art, collection Jack et Belle Linsky, 1982
Autre évolution du siège à l’époque Transition : les supports d’accotoir sont, de plus en plus souvent, à l’aplomb des pieds ; ils étaient nettement en retrait sur les sièges Louis XV. On explique souvent cette caractéristique par la mode féminine. Les très larges robes de l’époque Louis XV nécessitant de la place sur le siège cèdent la place, dans les années 1760, aux robes moins amples.
À l’instar des autres meubles de l’époque Transition, il arrive que le siège soit hybride, associant par exemple des pieds courbes propres au style Louis XV à un dossier en médaillon annonçant le style Louis XVI. Parfois, c’est le contraire : le dossier et les accotoirs sont courbes et les pieds droits.

Chaise Transition, bois peint ; Paris, Mobilier national © Muriel Cinqpeyres

Canapé, reproduction d’un modèle parisien datant des années 1770, hêtre sculpté et doré, soie, milieu du XIXe siècle ; Londres, Victoria and Albert Museum, legs de Mr William T. Johnson