Le repose-pieds de Radegonde, le plus ancien meuble français
Née vers 520 en Thuringe (Allemagne), Radegonde est contrainte d’épouser Clotaire Ier – un des fils de Clovis – dont elle était la prisonnière. Mais, pieuse et érudite, elle se tourne peu à peu vers la vie monacale et fonde l’abbaye de Sainte-Croix à Poitiers, où ce meuble est encore conservé aujourd’hui. Il est impossible de savoir s’il a été réalisé spécialement pour elle. En tous cas, il lui a appartenu.

« Pupitre » de sainte Radegonde, bois (probablement du buis), 6e siècle, Poitiers, abbaye Sainte-Croix.
Un décor sculpté abondant, une iconographie riche
Le plateau est divisé en neuf compartiments séparés les uns des autres par une moulure saillante et striée. Le décor, très abondant, est exclusivement religieux. Au centre, l’Agneau de Dieu – Agnus Dei – entre deux palmes : c’est Jésus en victime sacrificielle, sacrifié lors de la crucifixion, entre les palmes de son martyre. De chaque côté de l’Animal : une croix latine – dont la branche inférieure est plus longue que les autres. Dans le compartiment supérieur, le chrisme, le monogramme (un emblème fait de lettres) ; sont superposées les deux premières lettres grecques du mot « Christ » (messie en grec), le « χ » (chi) et le « ρ » (rhô). Dans le registre inférieur, une croix grecque (à quatre branches égales). Chrisme et croix grecque sont flanqués d’oiseaux, probablement les colombes associées au Saint-Esprit. Chaque angle abrite le symbole des évangélistes : l’Aigle de Matthieu, l’Ange de Jean, le Taureau de Luc et le Lion de Marc.
C’est un repose-pieds, preuve à l’appui !
Dès sa « découverte » au19e siècle, ce meuble a été qualifié de « pupitre », et c’est ainsi qu’il est encore souvent qualifié. On a également parlé d’un repose-tête… plutôt inconfortable ! François Germond, menuisier et ébéniste, restaurateur de meubles reconnu, a minutieusement étudié ce « pupitre », dont il a même réalisé une copie. De son observation minutieuse, il a tiré un petit livre en 1990, Le pupitre de sainte Radegonde. Le plus ancien meuble français (V6e siècle). Notons que dans le titre il reprend l’appellation commune de « pupitre » bien que celle-ci ne le convainque pas. Il suggère, arguments solides à l’appui, d’y voir un repose-pieds, c’est-à-dire une petite estrade isolant les pieds du froid et de l’humidité du sol. Il a remarqué d’importantes traces d’usure sur le plateau et des pieds avant, nettement plus abîmés que les pieds arrière. La pression exercée par les pieds des utilisateurs, posés plutôt vers l’avant du meuble, expliquerait l’inégalité dans l’usure des pieds.
Un pupitre (du latin pulpitum, « estrade ») est un petit meuble à plan incliné servant à écrire ou à lire. Venance Fortunat, biographe de Radegonde – il l’a côtoyée – précise qu’elle avait reçu une excellente éducation, elle savait lire. Quant à écrire, c’est autre chose. Au Moyen Âge, l’apprentissage de la lecture est dissocié de celui de l’écriture. Écrire est un métier : une reine n’écrit pas. D’ailleurs, il aurait été impossible d’écrire sur une telle surface, si sculptée. Pour servir de pupitre à lecture, il manque une encoche à la base du plateau pour empêcher le livre de glisser.
Un mot sur la technique
Le cadre général est assemblé à tenons et mortaises : une partie saillante – le tenon – s’encastre dans une partie creuse – la mortaise –, le tout fixé par des chevilles. Les principaux modes d’assemblage – tenons, mortaises et queues d’aronde – sont connus dans l’Antiquité et n’ont jamais été oubliés. Dans ce cadre, est glissé un panneau à rainures formant le dessus. François Germond a aussi observé attentivement le bois. Il le décrit très dur, à grain fin, de densité relativement élevée. Selon lui, il s’agirait de buis, essence qui remplit ces critères. Frais, le buis est jaune clair. Par oxydation à l’air, sa couleur vire au brun de plus en plus foncé. De plus, les insectes n’attaquent pas le buis, ce qui a permis la conservation jusqu’à nos jours de ce meuble.
Le trône de Dagobert, comment asseoir un pouvoir

Dessin du trône de Dagobert, tiré de « Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution », d’Ernest Lavisse (1842-1922), publiée en 1901.
Ce dessin permet de bien distinguer les différentes parties : le siège proprement dit, les accotoirs richement ornés et le dossier étrangement vide – il ne l’a probablement pas toujours été.
C’est le célèbre Suger qui, au 12e siècle, mentionne ce siège pour la première fois. Diplomate, conseiller royal, plusieurs fois régent du royaume de France, Suger (v. 1080-1151) a été nommé abbé de Saint-Denis à une quarantaine d’années. C’est alors une des plus prestigieuses abbayes du pays, nécropole des rois de France et lieu de conservation des regalia – instruments du sacre des souverains : couronne, sceptre, etc. À sa tête, Suger a encouragé l’éclosion de l’architecture gothique. Ce qu’il a écrit sur ce siège participe à la « légende » de son abbaye. Il explique avoir trouvé ce siège, disloqué, dans son abbaye. Il l’aurait fait restaurer et compléter. Il précise que ce siège a appartenu à Dagobert Ier, descendant de Clovis, roi des Francs de 629 à 639 et fondateur de l’abbaye de Saint-Denis. Suger s’appuie pour cela sur un texte bien antérieur, La vie de saint Eloi, rédigé au VIIe siècle par saint Ouen, évêque de Rouen. Le roi aurait commandé un trône d’or à Éloi – le responsable de la frappe de la monnaie – lui remettant pour ce faire la quantité de métal précieux nécessaire. Une fois l’œuvre achevée, il reste une importante quantité de métal. Honnête, Éloi ne le garde pas pour lui, il fait fondre un second trône, cette fois-ci en bronze doré… le trône de Dagobert !
Les affirmations de Suger sont invérifiables mais judicieuses. Elles rappellent l’ancienneté de son abbaye tout en soulignant les liens séculaires qu’elle entretient avec la monarchie française. Suger travaille à la gloire de son abbaye.
Une datation complexe
À l’origine, ce n’est probablement qu’un simple tabouret pliant ; une assise souple – de tissu ou de cuir – permettait de s’asseoir. Même si aucun document ne l’atteste, il est fort probable que le pliant remonte à Dagobert. Bien qu’officiellement dissous en 476, l’Empire romain reste pendant plusieurs siècles un modèle politique et culturel pour les rois barbares. Rien d’étonnant à ce qu’un Mérovingien du début du VIIe siècle ait souhaité un siège semblable à ceux des anciens haut-dignitaires romains.

Monnaie romaine frappée sous Caligula, en 37-41 après J.C. Sur l’avers : tête tournée à gauche. Sur le revers, Auguste (?) assis sur une chaise curule (sella curulis), tenant une branche. Références : RIC I 56 (Gaius). Photo CNG

Omer et le roi Dagobert, dans "La vie de saint Omer", 11e s. ; bibliothèque municipale de Saint-Omer.
Plus tard – à l’époque carolingienne ou au temps de Suger, diverses hypothèses ont été avancées – des pieds fixes, des accotoirs et un dossier ont été ajoutés, rendant dès lors impossibles l’ouverture et la fermeture du siège

Détail du trône de Dagobert.
Chaque pied est agrémenté d’un protomé (partie antérieure) de félin. Gueule ouverte, les animaux semblent agressifs. Peut-être protègent-ils symboliquement le monarque trônant, et au-delà de sa personne, la monarchie. Des traces de dorure sont encore bien visibles, les motifs gravés évoquant leur pelage.
Forme et technique sont d’inspiration antique
Le bronze était fréquemment utilisé pour la fabrication de meubles et de sculptures déjà dans l’Antiquité. Toutefois, peu d’exemples sont parvenus jusqu’à nous, le bronze pouvant être refondu et ainsi réutilisé, notamment pour la fabrication d’armes. Les fouilles d’Herculanum et de Pompéi, menées à partir du XVIIIe siècle, en ont livré de nombreux exemples, protégés car oubliés. Ce trône témoigne donc de la volonté des Mérovingiens, puis des Carolingiens, de s’ancrer dans une tradition ancienne prestigieuse. L’héritage romain est évident.
L’armoire romane d’Aubazine : imaginez-la en couleur
Dans « armoire » nous entendons « armes », mais ça n’a jamais été un meuble destiné aux armes. Le terme dérive du latin arma au sens d’« ustensile ». Les Romains rangeaient dans l’armarium des objets du quotidien. Mais il existait aussi un armarium à destination religieuse, dans lequel on enfermait les lares, les divinités du foyer. La vocation religieuse de ce meuble aurait perduré au Moyen Âge puisque l’armoire ne semble exister alors que dans les églises. On y conservait vêtements et objets liturgiques, archives et autres biens précieux. Dans les habitations, les objets se gardaient dans des coffres et des rangements ménagés dans un mur – ce que nous appellerions aujourd’hui des placards.
Une datation incertaine, comme souvent au Moyen Âge :

Armoire, chêne, plus de deux mètres de hauteur sur 2,50 m de longueur et 0,85 m de profondeur.
Fabriquée entre la fin du 12e et le ébut du 13e siècle, Corrèze, Aubazine, église Saint-Étienne. L’armoire s’ouvre par deux portes hautes dessinant des arcs en plein cintre – en arrondi – fréquents dans l’architecture romane. Les côtés de l’armoire sont ornés d’arcatures également inspirées de l’architecture romane : des colonnettes rapportées, en bois tourné, surmontées d’arcs en plein cintre. La façade, le dos et les côtés sont assemblés à tenons et mortaises et le tout est chevillé. Les planches des portes sont assemblées par feuillures et tourillons. À l’intérieur, elles sont consolidées par deux traverses en sifflet assemblées en queue d’aronde. Par la suite, j’espère pouvoir expliciter ces termes techniques – et les techniques elles-mêmes – grâce à l’aide d’artisans.

Niche, église d’Aubazine ©Sébastien Colpin.
L’armoire a vraisemblablement été conçue pour l’église où elle se trouve encore. Cette porte fermant une niche le laisse penser : même bois, même décor, elle est probablement de la main du même artisan, évidemment resté anonyme.

Dessin de l’armoire d’Aubazine, tiré du "Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque carolingienne à la Renaissance", Eugène Viollet-le-Duc, 1858-1870