Style Transition
Qu’est-ce que la Transition ?
Retour de la ligne droite
Comme son nom l’indique, le style Transition assure la transition entre les courbes Louis XV et les lignes droites qui deviendront caractéristiques du style Louis XVI. En effet, vers le milieu du 18e siècle, l’exubérance rocaille s’assagit. Les lignes se font moins courbes et la disposition symétrique des ornements est de retour.
Le frisage est en vogue. Il s’agit d’une technique de placage qui permet de former des motifs géométriques – losanges, chevrons – grâce aux veines du bois.
Pour l’anecdote, cette petite table porte trois estampilles : celle de RVLC dit Lacroix (né en 1728, reçu maître en 1755 et mort en 1799) sous le plateau de marbre et deux fois celle de Léonard Boudin (né en 1735, reçu maître en 1761 et mort vers 1864) : L Boudin et L Boudin JME (pour jurande des menuisiers ébénistes). Une fois devenu maître, Boudin a probablement ajouté le poinçon de jurande à son estampille. Ce meuble est la preuve qu’il est parfois difficile de savoir qui a fait quoi sur un meuble, et quand.
Le mobilier en métal est également très apprécié. Il est inspiré de modèles antiques mis à jour au cours de fouilles archéologiques à Pompéi ou Herculanum. On doit ces meubles à des artisans du métal, menuisiers et ébénistes n’ayant pas le droit de travailler le métal.
Des plaques de porcelaine ornent les meubles les plus précieux.
C'est le marchand mercier Simon-Philippe Poirier qui, le premier, a eu l'idée d'associer la porcelaine au travail d'ébénisterie à la fin des années 1750. Il a confié à des ébénistes de grand talent, comme BVRB et RVLC, la conception de petites tables ornées d'un plateau et de plaques cintrées de porcelaine de Sèvres. L’ajout de porcelaine sur le mobilier de grand luxe s’est peu à peu répandu.
Des formes étonnantes
Ce moment de transition entre deux styles aux particularités bien marquées produit quelquefois des meubles hybrides, étranges.
Ces deux tables sont étonnantes, composites : deux petites tables semblent avoir été superposées, celle du haut est nettement de style Louis XVI, celle du bas encore de style Louis XV. La petite galerie de bronze bordant le plateau et la tablette d’entrejambes sont caractéristiques des meubles Transition.
Des motifs décoratifs antiquisants
Les meubles de style Transition sont ornés de motifs inspirés de l’Antiquité : frise de postes ou de grecques, triglyphes, cannelures, strigiles, rinceaux, palmettes, pattes et têtes de lion, créatures ailées issues de la mythologie (chimères, sphinges), etc.
Ce fauteuil est typiquement Transition. Ses lignes courbes le rattachent sans conteste au style Louis XV, tandis que la frise de postes ornant la ceinture et le support d’accotoir témoigne d’une nouvelle source d’inspiration – l’Antiquité.
La poste est une vaguelette. Ce motif se déploie en frise très décorative, par exemple sur le pourtour d’une mosaïque antique ou sur la vasque d’une athénienne du milieu du 18e siècle.
Autre motif antiquisant : le strigile (un creux en forme de S), inspiré d’un objet utilitaire, le racloir recourbé qui servait aux Romains à se nettoyer la peau aux thermes.
Le bureau de monsieur Lalive de July
En 1756, le richissime financier et amateur d’art Ange Laurent Lalive de July (1725-1779) commande pour son hôtel particulier parisien un ensemble de meubles dans le goût nouveau dit « à la grecque » – c’est-à-dire antiquisant. Parmi ces meubles, un bureau très architecturé, aux lignes strictes.
Le modèle joue de la harpe, assis sur un fauteuil très éloigné des modèles courants dans les années 1750. C’est un bloc orné de lourdes guirlandes de feuillages ; le dossier, très bas, est surmonté de pommes de pin. À l’arrière-plan, on aperçoit son célèbre bureau, sur lequel se déploient divers motifs directement tirés de l’architecture antique.
Les guirlandes de feuillage, parfois enrichi de fleurs et de fruits, ornent fréquemment les monuments ou les sarcophages antiques.
Les pieds du bureau sont reliés à la table par un dé de raccordement, qui deviendra omniprésent sur les meubles de style Louis XVI. Ces dés sont eux-mêmes reliés par une guirlande de feuillage.
La ceinture du bureau est ornée d’une frise de postes et les pieds cannelés se terminent en pattes de lion. Les cannelures – sillons longitudinaux – évoquent les colonnes des temples antiques.
Le serre-papiers (ou cartonnier) du bureau de Lalive de July est orné dans sa partie supérieure d’une frise de grecques et aux angles de triglyphes : trois rainures verticales.
La frise de grecques est un ruban se cassant à angle droit, tel celui encadrant cette scène peinte sur une coupe grecque du 5e siècle avant notre ère.
Érigé sous le règne d’Auguste – premier romain –, en l’honneur de Pax, la déesse de la Paix, l’Autel de la Paix célèbre le rétablissement de la paix après un siècle de guerres civiles à la fin de la République.
Au fil des siècles qui ont suivi la chute de l’Empire romain, il a peu à peu disparu du paysage urbain, enfoui sous des mètres de boue charriée par les inondations du Tibre. On en redécouvre des fragments dès le 16e siècle, en pleine Renaissance.
Sur les frises des temples doriques alternent triglyphes et métopes – bas-reliefs sculptés.
Les célèbres métopes du Parthénon sont en grande partie conservées au British Museum à Londres.
Le bureau de Lalive de Jully renoue à la fois avec la grandeur antique et le caractère ostentatoire des meubles de Charles-André Boulle.
La palmette, une feuille stylisée en forme de palmier très présente sur le mobilier et les arts décoratifs de la seconde moitié du 18e siècle trouve, elle aussi, son origine dans l’art antique. C’est également le cas des oves et des rais-de-cœur.
Cette jatte écuelle, réalisée pour la laiterie de Marie-Antoinette dans le parc du château de Rambouillet, est directement inspirée de formes antiques.
L’air du temps
Artistes et érudits n’avaient jamais totalement oublié la culture gréco-romaine, y puisant régulièrement leur inspiration. La Renaissance marque l’apogée de ce mouvement, comme en témoignent ces deux fresques italiennes de la fin du 15e et du début du 16e siècles :
La passion de l’archéologie
Au mitan du 18e siècle, l’engouement pour l’Antiquité connaît un regain d’intensité, favorisé par les fouilles de Pompéi et Herculanum, villes romaines proches de Naples, ensevelies par une éruption du Vésuve en 79 de notre ère.
Les fouilles de ces sites se font dans le plus grand secret, sous la houlette de la cour de Naples. Les autorisations de visite sont accordées avec parcimonie ; les chanceux sont émerveillés.
Cependant, la méthode de fouille, peu rigoureuse, fait perdre bien des trésors comme en témoigne l’érudit allemand Johan Winckelmann : La direction du travail fut confiée à un ingénieur espagnol. […] Cet homme qui avait aussi peu de rapport avec les antiquités que la lune en a avec les écrevisses, comme dit le proverbe italien, a causé par son peu de capacité la perte de plusieurs belles choses. Un seul exemple servira de preuve. On découvrit une grande inscription publique en lettres de bronze […] Il fit arracher ces lettres du mur, sans avoir fait copier auparavant l’inscription : on les jeta toutes pêle-mêle dans un panier, et elles furent présentées au roi dans cette confusion. […] Exposées pendant plusieurs années dans le cabinet, chacun pouvait les arranger à sa fantaisie.
Les artistes se confrontent également aux vestiges antiques à Rome et dans le Latium.
Le néo-classicisme
Ce retour vers les sources antiques s’inscrit dans un profond mouvement culturel, le néo-classicisme. Architectes, peintres, sculpteurs et décorateurs puisent leur inspiration dans l’Antiquité.
Jacques Germain Soufflot, un architecte néo-classique
Jacques-Germain Soufflot (1713-1780), architecte de l’église abbatiale Sainte-Geneviève à Paris – aujourd’hui le Panthéon –, a voyagé près de deux ans en Italie (1750-1751). Avec le graveur Charles Nicolas Cochin et l’abbé et critique d’art Jean-Bernard Le Blanc, il a accompagné le jeune Abel François Poisson (futur marquis de Marigny), frère cadet de Mme de Pompadour. La favorite royale entendait ainsi préparer son cadet à sa future charge de Surintendant des Bâtiments du roi. Les quatre hommes visitent entre autres Turin, Milan, Parme, Modène, Rome, Naples Florence et Venise, diverses lettres de recommandation leur ouvrant les portes des plus belles collections de la Péninsule.
Au contact de la culture de ses trois mentors et des chefs-d’œuvre de l’Antiquité, de la Renaissance et de l’époque baroque, la culture du tout jeune Abel Poisson se forme rapidement. Dès 1751, il prend la tête de la surintendance des Bâtiments du Roi, charge qu’il assumera pendant vingt-deux ans – longévité inédite à cette fonction. C’est sous sa direction qu’est engagée à Paris la construction de la place Louis XV (actuelle Concorde) et l’École militaire – selon des plans du Premier Architecte du Roi, Ange-Jacques Gabriel –, ainsi que la reconstruction de l’abbatiale Sainte-Geneviève, qu’il a confiée à son ancien compagnon de voyage.
Ce voyage en Italie a exercé une profonde influence sur les arts français, marquant le début du retour aux sources antiques.
Ce portrait, exécuté à l’extrême fin de la vie de la favorite – elle s’éteint en 1763 –, rappelle son rôle dans l’émergence d’un style nouveau. Si les bronzes dorés ornant la bibliothèque de l’arrière-plan sont encore très rocaille, la table à ouvrage circulaire à ses côtés est, quant à elle, de style Transition. On distingue une chute à tête de bélier, un épais tore de laurier et un pied en enroulement sculpté de feuilles d’acanthe. Elle est aussi enrichie de plaques de porcelaine, autre nouveauté de l’époque Transition.
Le sculpteur Edme Bouchardon, entre l’élégance rocaille et la sévérité antique
Edme Bouchardon (1698-1762) a séjourné neuf ans à l’Académie de France à Rome, entre 1722 et 1733. Il a d’ailleurs présenté un projet pour la fontaine de Trevi, mais c’est finalement à Paris qu’il a réalisé une fontaine.
La ville de Paris, une femme à l'antique assise, est flanquée de deux allégories : la Marne et la Seine. Dans l'Antiquité, rivières et fleuves étaient habituellement figurés par des femmes ou des hommes à demi-allongés, appuyés sur des vases desquels sort de l'eau.
Le sculpteur pose avec une réduction de deux de ses œuvres majeures : « L’Amour taillant son arc dans la massue d’Hercule » et la statue équestre de Louis XV destinée à être érigée sur la place parisienne dédiée au souverain – actuelle place de la Concorde.
L’original de L’Amour, aujourd’hui au Louvre, était sous l’Ancien Régime placé au centre du Temple de l’Amour des jardins de Marie-Antoinette au Petit Trianon – on y voit aujourd’hui une copie.
Joseph-Marie Vien, un peintre « grec »
Prix de Rome en 1743, Vien a passé six ans à l’Académie de France à Rome. Ce long séjour romain et ses liens avec le comte de Caylus, un passionné d’archéologie, l’ont conduit à élaborer une œuvre très inspirée des peintures et des bas-reliefs antiques. Parmi ses œuvres, mentionnons « La marchande d’amours », présentée au Salon de 1763 et aujourd’hui conservée au château de Fontainebleau.
Tout dans ce tableau évoque l’Antiquité : le corps sculptural de la jeune femme, ses vêtements, les pilastres cannelés rythmant le mur derrière elle et, bien sûr, le mobilier. À ses pieds, un brûle-parfum tel qu’il y en avait dans les riches intérieurs et dans les temples de la Rome antique.
L’Antiquité in situ
Le Grand Tour
Cette passion pour l’Antiquité pousse les jeunes hommes de l’aristocratie, notamment anglaise, à entreprendre leur Grand Tour, voyage en Italie, voire en Grèce, pour parfaire leur éducation. Tout aristocrate anglais de passage à Rome se devait de poser pour Pompeo Batoni (1708-1787).
Le bas-relief d’Antinoüs et la statue de Minerve – que Batoni a repris dans plusieurs de ses compositions – témoignent de la culture du jeune modèle. Sur l’opulente console dorée, nous apercevons aussi des guides de la Rome antique et moderne, un exemplaire de L’Odyssée d’Homère et une biographie des peintres célèbres.
Derrière ce jeune homme portant son chapeau sous le bras, une fenêtre ouvre sur le Colisée.
Le séjour en Italie des artistes
Nombre d’artistes entreprennent également le voyage. Au printemps 1760, les peintres Hubert Robert et Jean-Honoré Fragonard accompagnent l’abbé de Saint-Non à Naples et à Pompéi. Ils en feront des dessins de mémoire, les autorités napolitaines interdisant d’exécuter le moindre croquis pendant la visite. Les gens qui montrent ces antiquités sont maussades et fort jaloux ; ils croient, je pense, qu’on va dérober leurs richesses avec les yeux, relatait Charles de Brosses une vingtaine d’années plus tôt à propos de sa visite d’Herculanum.
L’Antiquité est désormais partout, ce qui fait dire au baron von Grimm que Tout à Paris est à la grecque.