Style Régence
de 1700 à 1730
La régence entre la mort de Louis XIV et la majorité de Louis XV n'a duré que huit ans (1715-1723). Mais le « style Régence » couvre la fin du règne de Louis XIV et le début de celui de son successeur.
Zoom sur le contexte historique
Une triste fin de règne
Le règne de Louis XIV s’étire en longueur. Le roi Soleil a certes réussi à domestiquer la grande noblesse souvent rétive, mais l’étiquette est devenue un carcan. Le parti des dévots, mené par Mme de Maintenon, impose sa loi à la Cour, où l’on s’ennuie. Le Versailles du début du XVIIIe siècle n’a plus rien à voir avec celui des Plaisirs de l’île enchantée de 1664.
Vers 1700, le pays est épuisé par les guerres, les intempéries et les mauvaises récoltes qui en résultent. Enfin, une succession de deuils décime la famille royale, mettant en péril la dynastie des Bourbons.
Louis XIV, assis, est entouré de sa descendance : appuyé sur le dossier du fauteuil, le Grand Dauphin (1661-1711), fils unique du roi Soleil ; à droite, en rouge, le fils aîné du Grand Dauphin, le duc de Bourgogne ; à gauche, le petit duc d’Anjou – futur Louis XV – tenu en lisière par sa gouvernante Mme de Ventadour. C’est d’ailleurs pour souligner le rôle de cette dernière dans le maintien au pouvoir des Bourbons que ce tableau a été commandé peu après la mort de Louis XIV.
Les bustes en bronze d’Henri IV et de Louis XIII – les deux premiers rois de France issus de la branche des Bourbons – sont posés sur des consoles. Encadrant la composition, ils soulignent la continuité dynastique. Le bas-relief du fond représente Apollon sur son char, allusion évidente au Roi Soleil.
Le Grand Dauphin meurt en 1711, de la variole, et le duc de Bourgogne en 1712, probablement de la rougeole. Anjou – petit garçon de deux ans – devient l'héritier du trône. Il est roi trois ans plus tard à la mort de Louis XIV.
Une régence s’impose
La régence avec un « r » minuscule est une période de transition entre deux règnes : quand un roi meurt alors que son héritier est trop jeune pour exercer le pouvoir, une personne intermédiaire assume les responsabilités en attendant la majorité du souverain – fixée à treize ans. La Régence avec un « R » est précisément celle de Philippe d’Orléans, qui prend les rênes du pouvoir à la mort de son oncle Louis XIV en 1715. C’est cette régence qui a donné son nom au style décoratif qui va nous intéresser dans cette partie.
Le Régent : prince sulfureux, véritable homme d’État
Il faudrait, pour faire le portrait de monsieur le duc d’Orléans, un singulier et terrible pinceau, Mme de Caylus, Souvenirs.
Intelligent, cultivé, Philippe d’Orléans est aussi un libertin. À l’époque, ce terme désigne avant tout un libre penseur, qui s’affranchit de la religion. Philippe a même été soupçonné d’athéisme. Pour la pieuse madame de Maintenon – épouse morganatique de Louis XIV –, il est l’antéchrist en personne. C’est dans ce sens qu’il faut entendre le trait de madame de Caylus – nièce de madame de Maintenon. Cependant, la liberté d’esprit du Régent et son intérêt pour tous les domaines de la connaissance en font un homme du siècle des Lumières.
Un début de règne marqué par la paix
L'abbé Dubois
Précepteur du petit Philippe d’Orléans, l’abbé Dubois s’était attaché à en faire un futur homme d’État ; pourtant rien ne laissait alors supposer que l’enfant deviendrait un jour régent du royaume. Toute leur vie, les deux hommes sont restés des proches. Pendant huit ans, Dubois – entretemps fait cardinal – et Philippe ont formé un duo à la tête du pays, le Régent se consacrant à la politique intérieure, Dubois aux Affaires étrangères. Fin diplomate, Dubois a négocié la paix avec l’Angleterre. Après le long et belliqueux règne de Louis XIV, c’est un changement fondamental : le règne de Louis XV débute par l’instauration d’une paix durable.
1716-1720 : le système Law, étonnante expérience économique
Il y a quelques jours, une dame, nommée Bégon, était à l’opéra ; elle vit entrer dans une loge une dame extrêmement laide, mais vêtue des plus belles étoffes qu’on puisse imaginer et couverte de diamants : la fille de Mme Bégon lui dit – Ma mère, regardez donc cette dame si parée, il me semble que c’est votre cuisinière […] Regardez-là bien. – Je ne sais qu’en penser, répondit la mère, elle lui ressemble extraordinairement. – Eh bien, quoi ? Je suis Marie, la cuisinière de Mme Bégon ; je suis devenue riche, je me pare de mon bien ; je ne dois rien à personne ; j’aime à me parer et je me pare ; cela ne fait de tort à personne ; qu’est-ce qu’on a à redire à cela ? Vous pouvez penser à quel point on éclata de rire ; il existe des centaines d’anecdotes semblables.
C'est à la princesse Palatine, la mère du Régent, que l'on doit ce témoignage de l'enrichissement rapide de quelques audacieux risquant leurs économies.
À la mort de Louis XIV, l’État est lourdement endetté. L’Écossais John Law (1671-1729), avec l’appui du Régent, conçoit un système bancaire original favorisant la circulation de l’argent et le commerce. Il créé une banque adossée à une compagnie de commerce – la Compagnie des Indes.
Des particuliers reçoivent des billets en échange de leurs métaux précieux qui servent à rembourser les dettes de l’État. Les profits sont rapides et importants. Cependant, la banque émettant trop de billets, le système s’emballe. Le doute s’installe chez les actionnaires, qui jugent les dividendes de leurs actions trop faibles. Bientôt ils sont trop nombreux à échanger leur papier monnaie contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Le 24 mars 1720, la foule des investisseurs afflue rue Quincampoix à Paris, siège de la compagnie des Indes, créant la panique. Discrédité, Law s’enfuit à Bruxelles et le système est liquidé par l’État.
Invention géniale bien qu’insuffisamment préparée ou incroyable escroquerie, tout a été écrit sur le système de l’Écossais. C’est en fait un des divers phénomènes témoignant de l’enrichissement général de la société française au cours du 18e siècle. Mais, très voyant et romanesque, il a eu un impact psychologique fort.
Un nouvel état d'esprit
Moins de solennité et plus de raffinement
Dès la fin du règne de Louis XIV, l’étiquette – longtemps draconienne – tend à s’assouplir ; si ce n’est à la Cour, tout au moins dans les hôtels particuliers. On distingue de plus en plus moments solennels se déroulant dans un cadre d’apparat et vie intime dans laquelle on ose s’asseoir, voire s’affaler, dans de confortables fauteuils. On aspire au confort.
Quelques scènes du quotidien de l’élite
Dans un riche salon, d’élégants jeunes gens se sont rassemblés pour écouter l’un deux faire la lecture. Peut-être lisent-ils, plutôt qu’une pièce de Molière, une œuvre de leur contemporain Marivaux ? La date peinte sur le bois du fauteuil de gauche (1710) s’explique mal. Elle est contredite par les vêtements à la mode des années 1730.
C’est un moment convivial dans un beau cadre, chaleureux et confortable. Les murs sont tendus d’un tissu élégant. Un paravent et un rideau devant la porte permettent de s’isoler des courants d’air si nécessaire ; un bon feu crépite dans la cheminée surmontée d’un miroir. Le bras de lumière – asymétrique – ne porte qu’une seule bougie, d’ailleurs éteinte. Entre la cheminée et la porte, a pris place une bibliothèque, sur laquelle est placée un cartel orné de la figure du Temps. Ce modèle est très proche de ceux fabriqués à la même époque par Boulle.
Revenons au tableau de Jean-François de Troy. Les fauteuils sont profonds, leurs accotoirs, rembourrés. On peut tout de même s’interroger sur le réalisme de la scène. En effet, les sièges sont bien trop bas. Aucun modèle de ce type n’est conservé, probablement parce qu’on n’en a jamais fabriqués. Ces scènes de genre fourmillent d’informations, mais il faut les appréhender avec discernement.