Belge installée à Aubusson depuis une dizaine d'années, Laurine Malengreau réalise des revêtements muraux et des tableaux textiles en Nuno Silk. Portrait d’une passionnée de laine qui vient de recevoir le prix Artisans innovateurs de la région Nouvelle-Aquitaine – catégorie procédé.
D’où vient le nom de votre marque ?

L.M. Ce sont mes initiales entourées des cercles de l'infini. Le cercle est mon motif de prédilection, je le dessine très régulièrement.

Avant tout, présentez-vous le Nuno Silk.

L.M. Cette technique mêle intimement laine et soie naturelles pour créer un textile non tissé, tout en légèreté et transparence. Selon les projets, je peux y incruster du brocart ou du velours, étoffes qui, elles, sont tissées.
L’histoire du Nuno Silk est très ancienne. Elle trouve ses origines dans le feutrage (action de frictionner la laine), pratiqué depuis des millénaires en Asie centrale. Le Nuno Silk – ou Nuno Felt (feutre) – est une variation moderne du feutrage, mise au point au début des années 1990 en Australie par un couple – une Japonaise et un Australien. Le nom (nuno, « étoffe » en japonais ; silk, « soie » en anglais) évoque leurs origines respectives. Cette technique est généralement utilisée pour réaliser des vêtements, écharpes ou autres accessoires de mode. J’ai choisi de la pratiquer pour concevoir de grands panneaux muraux d’une seule pièce, de repenser la technique pour proposer du grand format.

 

Vous avez donc transposé une technique plutôt associée à la mode à un domaine nouveau, la décoration d’intérieur haut de gamme ?

L.M. Tout à fait, c’est une particularité de mon travail. Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré personne d’autre appliquant la technique du Nuno Silk à la décoration murale de grandes dimensions.

Comment avez-vous découvert le Nuno Silk ?

L.M. C’était il y a plus de dix ans, grâce à Carmen Escolano, une passionnée de peinture sur soie – technique qu’elle enseigne. J’ai suivi ses cours pendant deux ans à Madrid et, en dehors de ses cours, elle m’a fait découvrir le Nuno Silk. Par la suite, nous avons régulièrement communiqué ; elle m’a accompagnée dans ma pratique de cette technique, mes progrès, mes questionnements. Je suis donc arrivée au Nuno Silk par le biais de la soie, et non de la laine comme la plupart des artisans qui le pratiquent.

Cette technique vous a immédiatement séduite ?

L.M.
Oui, ç’a été un vrai coup de cœur. Dans la foulée, j’ai lancé une collection d’écharpes, des pièces uniques qui se sont très bien vendues. Ç’a été une première expérience commerciale, réussie mais brève car le moment n’était pas encore venu de me lancer sur le long terme. Je manquais de recul pour construire une stratégie commerciale, mais je savais que je reviendrais au Nuno. Et j’y suis effectivement revenue quelques années plus tard !

Justement, quel parcours vous a conduite à ce métier ?

L.M.
Un parcours varié : une pratique intensive du dessin dès l’enfance, puis des études d’histoire de l’art conclues par un diplôme en gestion et administration d’entreprise. J’ai travaillé une dizaine d’années dans la gestion culturelle – en Belgique, en Espagne et en Irlande – avant de créer mon atelier à Aubusson.

Ce parcours, riche et très construit, entre théorie et pratique artistique, vous a logiquement conduite à Aubusson, haut lieu de l’art textile depuis des siècles ?

L.M. Je ne me suis pas venue à Aubusson pour créer mon entreprise. Il y a huit ans, j’ai répondu à une offre d’emploi dans la région – il s’agissait de gérer une résidence d’artistes. J’ai décroché le poste et me suis installée dans la Creuse, endroit effectivement idéal lorsqu’on projette de se lancer dans une activité textile. Mais à mon arrivée, mon projet était loin d’être solidement pensé. La création de mon entreprise est le fruit de quelques hasards mais surtout d’une longue maturation.

Comment définiriez-vous votre activité ?

L.M. C’est de l’artisanat d’art, du sur-mesure, fait main. Je conçois mes modèles, seule ou en collaboration avec des prescripteurs, puis je réalise toutes les étapes de fabrication.
Avant tout : la matière et l’échange avec le prescripteur pour bien comprendre ce qu’il désire. Je choisis mes matériaux et compose la gamme de couleurs avant d’attaquer la création fabrication proprement dite.
J’esquisse mon projet au pastel. L’idée prend ainsi forme. Puis je dispose patiemment les fibres sur un fond de mousseline, avant de procéder au feutrage : sous l’action de l’eau et du savon, du chaud et du froid, laine et soie s’incrustent l’une dans l’autre et forment un textile non tissé. J’obtiens un matériau à la fois fin et très résistant. Pour les finitions, je collabore avec d’autres artisans. Selon les dimensions de la pièce à réaliser, il me faut – de la conception à la fabrication – entre trois semaines et trois mois.
Cependant, la gestion d’un atelier suppose de s’impliquer également dans la communication, le marketing, l’export, toutes les parties économiques. C’est une activité multitâche, associant imagination, geste technique précis et lien social fort. Je rencontre des personnes très différentes : artisans, prescripteurs, agents, autorités régionales…

Ce n’est donc pas un travail solitaire.

L.M. Ça dépend des moments. Je suis seule dans mon atelier, mais je collabore régulièrement avec d’autres artisans : un ébéniste, un ferronnier d’art et un tapissier, qui m’aident à réaliser l’encadrement et la structure sur laquelle reposent mes panneaux. Par ailleurs, une apporteuse d’affaires m’aide à chercher de nouveaux clients. Je suis à la fois indépendante et en interaction régulière avec d’autres professionnels.

De quel soutien avez-vous bénéficié pour vous établir ?

L.M. J’ai été soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine, la Cité de la tapisserie, la pépinière d’entreprises d’Aubusson, par l’ADI – agence Développement et Innovation de Nouvelle-Aquitaine. J’ai aussi reçu un soutien financier d’Initiative Creuse, France Active et de ma banque. Pour me faire connaître, LAINAMAC – réseau de professionnels de la laine de Nouvelle-Aquitaine et du Massif Central – m’a permis de présenter mon travail au salon Révélations à Paris. Tout serait plus difficile, voire impossible, si j’étais professionnellement isolée.
Tous ces soutiens sont le fruit d’une démarche très proactive de ma part : je n’ai jamais hésité à présenter mes recherches et mes objectifs.

Votre ancrage territorial est très fort ?

L.M. Oui, je travaille le plus possible en lien avec mon territoire : une partie de ma laine provient de Felletin (en Creuse), ma soie d’Isère, le papier de mes cartes de visite d'une entreprise proche de Limoges, mon bijou-signature d'Aubusson... La finition de mes produits se fait en circuit court : ferronnier, tapissier, ébénistes, autant d’acteurs dont l’atelier est situé à quelque dix km du mien.

Votre organisation de travail vous convient-elle ?

L.M. Oui. Grâce à un partenariat avec une pépinière d'entreprises, j'occupe un bel atelier de 30 m2 au sein de la Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson Mon contrat prendra fin en décembre prochain. Je recherche donc un nouveau lieu, plus grand.
Le travail d’équipe crée une émulation. Dans l’idéal, j’aimerais former quelqu’un avec qui travailler sur le long terme. Dans un premier temps, ce serait un stagiaire ; il ne m’est pas encore possible de salarier quelqu’un.

Visuel annonçant l’article :
« Point du jour, profusion de pétales et de velours, prémices d’un matin clair et lumineux », revêtement mural de 250 cm x 300 cm ©Grégory Valton

Pour en savoir plus, consultez le site de Laurine Malengreau : OOLMOO