Le Ritz met en vente une partie de son mobilier

Sandrine Zilli, diplômée en histoire de l'art – école du Louvre
Du 17 au 21 avril prochain, 3 500 objets provenant de l’hôtel Ritz seront proposés à la vente par Artcurial. Ces cinq jours d’enchères seront précédés d’une exposition qui métamorphosera le siège de la célèbre maison du Rond-Point des Champs-Élysées.
Sur le garde-corps se détache un soleil, emblème de Louis XIV. C’est en effet sous son règne qu’a été érigée cette élégante place octogonale. La statue équestre du Roi-Soleil, au centre de la place jusqu’à la Révolution française, a été remplacée par une colonne dont le bas-relief relate les exploits des troupes napoléoniennes. Haut lieu de l’Histoire de France, cette place l’est aussi du luxe parisien.

 

Le modèle absolu du palace

Le 1er juin 1898, le Suisse César Ritz (1850-1918) – qui a déjà fait ses preuves dans l’hôtellerie de luxe à Lucerne, Baden Baden, Monte Carlo, Rome ou Londres – inaugure le palace parisien auquel il donne son nom. La soirée est somptueuse : « un vrai événement parisien », peut-on lire dans Le Figaro du lendemain. On a pu y croiser l’Aga Khan, le grand-duc Michel de Russie, la richissime Américaine Anna Gould ou encore le pionnier de l’aviation Alberto Santos-Dumont et un écrivain encore peu connu, Marcel Proust. L’auteur d’À la Recherche du temps perdu deviendra un habitué du Ritz – parfait lieu d’observation de l’élite de la Belle Époque. Il y invitera Colette, qui elle-même fera venir Cocteau.
Dès la soirée d’inauguration, le lieu est fréquenté par des personnes de diverses origines sociales – toutes fortunées bien entendu. S’y rencontrent la vieille aristocratie européenne et les nouveaux puissants : banquiers et industriels. Au Ritz, un Boni de Castellane côtoie un Vanderbilt ou un Rothschild. Par la suite, Charlie Chaplin, Audrey Hepburn ou Maria Callas seront des fidèles du Ritz.
Le Ritz a connu deux campagnes de travaux importantes : dans les années 1980, suite au rachat de l’hôtel par l’homme d’affaires égyptien Mohammed al-Fayed, puis dans les années 2010. Les meubles et objets mis aux enchères aujourd’hui sont ceux qui n’ont pas été réutilisés lors la dernière restauration. Ils portent tous l’estampille du Ritz !

 

« Le meilleur n’est pas trop beau »

Élégance et raffinement sont de mise pour le mobilier et la décoration, mais c’est le confort qui fait le grand plus du Ritz : électricité, ascenseur, poste de téléphone dans chaque chambre et, surtout, un sens de l’hygiène inédit.
Au Ritz, chaque chambre possède sa propre salle de bains. Vers 1900, les hôtels – même de luxe – n’en possédaient qu’une par étage et il n’était pas rare qu’un client fasse monter dans sa chambre une baignoire en zinc et de l’eau chaude. Rien de tel chez monsieur Ritz ! « Les salles de bains sont vastes, de sorte que l’on peut y prendre de l’exercice après une douche froide, mais l’eau chaude y coule aussi en abondance. Le sol est en marbre, les murs couverts de faïence, si bien que la pièce entière peut s’emplir de vapeur » écrit un journaliste parisien au moment de l’inauguration. « Qui va vouloir vivre avec une cuvette inamovible dans sa chambre ? », ironise Oscar Wilde.
À ce confort moderne venu des États-Unis, se mêle l’art de vivre à la française. César Ritz a chargé l’architecte Charles Mewès de concevoir la décoration de cet ancien hôtel particulier conçu par Jules Hardouin-Mansart au XVIIe siècle. Au préalable, ils ont ensemble visité les châteaux Fontainebleau et de Versailles, le Louvre et le musée des Arts décoratifs. Les grandes maisons françaises et les meilleurs artisans – ébénistes, doreurs, tapissiers – ont été sollicités.
Aucun détail n’est négligé. La coiffeuse est placée dans la chambre ; la dame est ainsi mieux installée que dans la salle de bains. Les abat-jour couleur pêche produisent une lumière rosée flatteuse au teint des femmes – ce qui n’était pas toujours le cas de l’éclairage électrique à ses débuts. Le linge de bain conserve cette nuance pêche.



So Ritzy !

 

La vie flamboyante du Ritz reprend après la Première Guerre mondiale – qui l’avait vu transformé en hôpital militaire. Les dîners dansants connaissent un vif succès, l’orchestre se met au jazz. La Prohibition attire à Paris les Américains fortunés – ou encore sans le sou dans le cas d’Ernest Hemingway – qui se mettent à utiliser le terme ritzy – de Ritz – pour qualifier quelque chose de chic.
Le krach boursier de 1929 puis la Seconde Guerre mondiale mettent un bémol à cette vie fastueuse. En 1940, le Ritz est partiellement réquisitionné. C’est la Luftwaffe – forces aériennes nazies – qui s’y installe. Son chef, Hermann Göring, s’attribue la suite impériale. La vie mondaine s’y poursuit, entre compromissions et petits actes de résistance.
La légende – les versions divergent considérablement – attribue la libération de l’hôtel à Hemingway, alors correspondant de guerre. Il se serait présenté à l’entrée, mitraillette à la main. Le portier – qui le connaissait bien – lui a simplement demandé de déposer son arme au vestiaire au préalable. Et l’écrivain se serait aussitôt dirigé… vers le bar !



Une sélection des pièces mises en vente

Coco Chanel, qui s’était installée au Ritz dès les années 30, y revient en 1954, après son exil. Elle s’éteint dans sa suite en 1971.
Dès le début, la gastronomie a participé à la renommée de luxe des lieux. César Ritz avait confié la direction des cuisines au célébrissime Auguste Escoffier, créateur – entre autres – de la pêche Melba ou des fraises Sarah Bernhardt.

De nombreux sièges


L’exposition préalable à la vente se tiendra du jeudi 12 au lundi 16 avril 2018, de 11h à 19h, au 7, Rond-Point des Champs-Elysées.

Ouvrages consultés :

- Alexis Grégory, Ritz Paris, éd. Assouline, 1999
- Claude Roulet, Ritz : une histoire plus belle que la légende, éd. Quai Voltaire, 1998

- Francis Scott Fitzgerald, Un diamant gros comme le Ritz, nouvelle de 1922.