Le dressoir, le meuble de l’orgueil social
Le dressoir est un meuble de rangement composé de deux casiers fermant à clé. Sa partie inférieure est évidée ; ses pieds reliés par une tablette d’entrejambe sur laquelle on peut placer des objets de valeur.

Dressoir néo-gothique, bois, métal, textile ; 19e siècle ; Reims, musée-hôtel Le Vergeur
Attention : ce dressoir à pans coupés et décor gothique (arcatures ogivales, rosaces, fleurons…) n’a pas été fabriqué au Moyen Âge, mais au 19e siècle – siècle qui connaît un engouement pour cette période lointaine, longtemps dénigrée.
Comme les coffres, les dressoirs sont ornés de motifs gothiques – plis de serviette, fenestrages –, auxquels se substituent peu à peu au 16e siècle des ornements Renaissance – grotesques, profils en médaillon.

Dressoirs du château de Langeais, Centre Val de Loire, Indre-et-Loire

Dressoir à décor de rinceaux et de médaillons, peut-être créé en Champagne ; chêne et fer forgé, vers 1520-1530 ; Paris, musée du Louvre, département des objets d’art © Michel Urtado
Ce dressoir à pans coupés comprend deux niveaux de rangement : la partie supérieure s’ouvre par deux portes, la partie inférieure par une seule. Sa façade est ornée de rinceaux et de portraits de profil dans des médaillons dans l’esprit Renaissance, tandis que les côtés le sont, eux, de plis de serviette gothiques.

Le même dressoir vu de côté © Michel Urtado

Le même dressoir, détail d’un vantail © Michel Urtado
Le dressoir est un meuble fait pour afficher ostensiblement le rang élevé et la richesse d’une personne.

« Le chanoine Jean Méliot remettant sa traduction d’un ouvrage allemand (« Advis directif pour faire le passage d’outremer ») au duc de Bourgogne Philippe III le Bon » ; enluminure, 1458 ; Paris, BnF
La scène se déroule dans un intérieur luxueux. Très élégamment vêtu de noir et d’or, le duc de Bourgogne arbore, comme plusieurs membres de sa suite, le collier de l’ordre de la Toison d’or. Il est assis sur un long banc richement sculpté garni d’une étoffe et de carreaux (coussins) rouges. À l’arrière-plan on distingue un dressoir dont un des vantaux est ouvert. Sur ce dressoir, comme sur l’étagère qui le surmonte, est exposée de la vaisselle d’or. Le sol est recouvert de carreaux de faïence très décoratifs.

« La Noblesse » ou « L’homme riche », enluminure tirée d’un manuscrit, peinte par Jean Bourdichon (1457-1521), entre 1500 et 1510 ; Paris, école nationale supérieure des Beaux-Arts
La richesse de cette famille est indiquée par l’imposant dressoir du fond, garni d’une abondante vaisselle de métal : aiguières sur la tablette d’entrejambe, plats et bouteilles sur le gradin.
Un dressoir était fréquemment présent dans les chambres luxueuses. Rappelons que le maître de maison recevait dans sa chambre, souvent la pièce la mieux chauffée du château ou de l’hôtel particulier. La chambre n’était pas une pièce exclusivement réservée à l’intimité.
Voir la reconstitution de la chambre de Rigault d’Oureille au musée des Arts décoratifs de Paris

Maître de Liesborn, « L’Annonciation », huile sur chêne, vers 1470-1480 ; Londres, The National Gallery
Cette scène d’Annonciation est un des nombreux panneaux qui constituaient le retable du maître-autel de l’abbaye de Liesborn (Allemagne, région de Westphalie), polyptyque aujourd’hui démembré. À l’arrière-plan, on distingue un lit à dais et rideaux rouges, un petit dressoir et un banc dont les pieds avant sont reliés par un arc en plein cintre.

Hans Memling, « L’Annonciation », huile sur bois, Pays-Bas, vers 1480-1489 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, collection Robert Lehman, 1975
Entre le lit et la fenêtre a pris place un dressoir sur lequel on a posé un bougeoir et carafe en verre laissant passer la lumière.

Jan van Eyck, « La naissance de Jean-Baptiste », enluminure du manuscrit « Les Très Belles Heures de Notre-Dame de Jean de Berry », peinture sur parchemin, vers 1420
Le lit est particulièrement imposant. À ses pieds prennent place un coffre (dont le couvercle est ouvert) et un petit dressoir, exceptionnellement placé au milieu de la pièce.
Lors d’un banquet, le dressoir est installé près de la place du seigneur.

« Banquet de noces », enluminure extraite de « L’Histoire d’Olivier de Castille et d’Artus d’Algarbe » ; Paris, Bibliothèque nationale de France
Nous assistons au banquet d’une union aristocratique. La mariée a pris place entre son époux et sa demoiselle d’honneur. Le dressoir, installé tout près du mari, affiche sa richesse et par conséquent sa puissance. Cette pièce n'était probablement pas aménagée de la sorte de manière permanente. Son luxe tient en grande partie aux étoffes : dais magnifiant la table d’honneur – celle des mariés –, tapis sur la tribune des musiciens, nappes blanches dissimulant les tables – de simples planches posées sur des tréteaux. La même nappe recouvre le dressoir.
Même dans les châteaux royaux les tables ne sont que de simples planches posées sur des tréteaux que l’on monte en prévision du repas – d’où l’expression « dresser la table » – et que l’on démonte après.

« Un couple à table », enluminure d’un livre d’heures (un livre de prières), fin 15e siècle ; BnF, département des manuscrits
Comme sur les coffres et les chaires, les motifs Renaissance ont peu à peu supplanté les ornements gothiques.

Dressoir aux Harpies, France (Île-de-France, Bourgogne ou Lyonnais), bois de noyer sculpté et fer ; vers 1570-1590 et parties 19e siècle ; New York, The Metropolitan Museum of Art © Robert Lehman Collection, 1975

Dressoir aux Harpies (détail) © The Metropolitan Museum of Art
Il faut être prudent dans la datation des meubles « médiévaux ». Les deux dressoirs suivants – un conservé à Nantes, l’autre à Reims –, indéniablement de style gothique, ont en fait été fabriqués au 19e siècle.

Dressoir, France (?), 19e siècle ; Nantes, musée Dobrée

Dressoir néo-gothique, bois, métal, textile ; 19e siècle ; Reims, musée-hôtel Le Vergeur ; Nantes, musée Dobrée
À la fin du 16e siècle, apparaît en France l’armoire à deux corps superposés, un meuble très architectural.

Armoire à deux corps superposés et fronton triangulaire, bois, marbre ; France, entre 1580 et 1625 ; Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris
L’armoire se compose de deux corps superposés, séparés l’un de l’autre par deux tiroirs. La partie supérieure est en retrait par rapport à la partie basse, ce qui ménage un rebord tout autour du meuble. L’armoire ouvre par quatre portes (deux en haut et deux en bas) qui sont sculptées, en général de figures antiquisantes qui symbolisent les quatre saisons, les quatre éléments (l’air, la terre, l’eau et le feu) ou les quatre vertus cardinales (Force, Prudence, Justice, Tempérance).
Le fronton – triangulaire ou courbe – est brisé. Son centre, évidé, accueille un édicule à l’intérieur duquel était placée une statuette de bronze.
Le meuble est rehaussé d’incrustations de marbre.
Ce type d’armoire repose en façade sur des pieds en boule aplatie. Le bois travaillé au tour sera très en vogue au 17e siècle.
Le dressoir dans le style Jacques Androuet du Cerceau

Dressoir, Île-de-France, noyer et peuplier, vers 1560-1570 ; Reims, musée des Beaux-Arts

Modèle de Jacques Androuet du Cerceau, gravure, vers 1565-1570 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, legs de Herbert Mitchell, 2008