Des « Barbares » aux Italiens de la Renaissance
Les termes « Moyen Âge » et « Renaissance » se complètent et s’opposent à la fois. « Renaissance » semble signifier qu’il y a eu mort, en l’occurrence de la culture antique pendant le Moyen Âge. On doit ce jugement à l’emporte-pièce aux Italiens de la Renaissance, mais rien n’est moins vrai. Malgré une certaine déperdition, la culture antique a été consignée et transmise par les moines copistes des abbayes.
Cette enluminure représente un moine copiste dans son atelier – le scriptorium (du latin scribere, « écrire »). Le mot scriptorium désigne également le mobilier nécessaire au copiste : pupitre, lutrin sur lequel est posé le livre servant de modèle, banc et cale-pied. Sur le pupitre se trouve le matériel nécessaire à ce travail : encrier, calame, grattoir pour effacer une erreur, et une paire de bésicles – des lunettes sans branches qui se pincent sur le nez ! Plusieurs livres sont placés, en désordre, sur une étagère au-dessus du pupitre.
Pendant longtemps, penseurs et artistes ont donc eu une vision très négative, voire méprisante, de la période médiévale, la qualifiant même de « gothique » en référence aux Goths, un de ces peuples dits « barbares » qui ont contribué à la chute de l’Empire romain.
L’engouement pour le Moyen Âge au 19e siècle
Dès le 17e siècle, quelques érudits nuancent ce jugement, mais le Moyen Âge ne devient sujet d’études et d’admiration qu’au 19e siècle, après les saccages révolutionnaires qui ont laissé nombre de monuments – surtout ceux à signification religieuse ou monarchique – dans un état déplorable. Un choix s’impose : les détruire ou les restaurer. Une nouvelle profession voit alors le jour, conservateur du patrimoine. Parmi les premiers à l’exercer, l’homme de lettres Prosper Mérimée (1803-1870), nommé en 1834 inspecteur général des Monuments historiques. Sa tâche : sillonner la France afin de dresser l’inventaire du patrimoine et de lancer les chantiers de restauration qui s’imposaient en raison des saccages révolutionnaires et des outrages du temps. Sa nouvelle fantastique La Vénus d’Ille débute en récit de voyage d’un archéologue – voyage comme Mérimée en a effectué de nombreux.
Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil fût déjà couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la petite ville d’Ille, vers laquelle je me dirigeais. […] J’étais recommandé à M. de Peyrehorade […] un antiquaire fort instruit et d’une complaisance à toute épreuve. Il se ferait un plaisir de me montrer toutes les ruines à dix lieues à la ronde. Or, je comptais sur lui pour visiter les environs de l’Ille, que je savais riches en monuments antiques et du Moyen Âge. Ce mariage, dont on me parlait pour la première fois, dérangeait tous mes plans.
En 1795, en pleine Révolution, le peintre Alexandre Lenoir avait transformé le dépôt des Petits Augustins dont il a la charge – un ancien couvent parisien, où étaient entreposées les sculptures confisquées aux fondations religieuses – en musée des Monuments français, un asile pour les monuments de notre histoire, que des barbares, à certaines époques, poursuivent la hache à la main, comme il l’a expliqué plus tard. Il s’agissait de sauvegarder en urgence des morceaux de décors de lieux victimes du vandalisme révolutionnaire. Dans un premier temps, gisants, orants, bustes, bas-reliefs et autres vitraux s’y entassaient, avant que Lenoir ne mette en place une véritable muséographie, consacrant chaque salle à une période précise.
Au premier plan du tableau de Vauzelle se dresse le tombeau de Diane de Poitiers – provenant du château de la favorite d’Henri II à Anet –, posé sur un piédestal flanqué de porteuses de flambeaux provenant, lui, de l’église Sainte-Geneviève. La colonne torse derrière ce tombeau avait été érigée à Saint-Cloud en expiation de l’assassinat du roi Henri III tandis que l’obélisque formait le tombeau de cœur du duc de Longueville dans l’église parisienne des Célestins. Enfin, on distingue tout au fond le tombeau du cardinal Mazarin, provenant de la chapelle du collège des Quatre-Nations (notre actuel Institut).
Ce musée des Monuments français des Petits-Augustins a fermé ses portes en 1816. Les bâtiments ont alors été attribués à l’École nationale des Beaux-Arts, qui s’y trouve aujourd’hui encore.
Revenons à l’époque de Prosper Mérimée. Une nouvelle technique, la photographie, va s’avérer d’une grande aide pour les conservateurs du patrimoine, sans les empêcher évidemment de dessiner les œuvres qu’ils ont sous les yeux.
J’arrive du pont du Gard fort triste. Cet admirable monument se détraque et je crains qu’il ne veuille se jeter dans le Gardon. J’écris un rapport touchant […] Si la commission se réunit, veuillez lui faire donner un tour de faveur.
Prosper Mérimée, Correspondances, T. VI, p. 112
Des pépites sont parfois signalées à Mérimée. Dans les années 1830 par exemple, George Sand est une invitée régulière du sous-préfet de la Creuse, qui occupe le château de Boussac. L’écrivaine – la « voisine de Nohant » – y admire une tenture (une série de tapisseries) sur laquelle « On voit le portrait d’une femme, la même partout, évidemment ; jeune, mince, longue, blonde et jolie ; vêtue de […] costumes différents, tous à la mode de la fin du XVe siècle. C’est la plus piquante collection des modes patriciennes de l’époque qui subsiste peut-être en France : habit du matin, habit de chasse, habit de bal, habit de gala et de cour, etc. Les détails les plus coquets, les recherches les plus élégantes y sont minutieusement indiqués. C’est toute la vie d’une merveilleuse de ce temps-là ». Cette tenture a depuis été surnommée La Dame à la Licorne et est conservée au musée national du Moyen Âge à Paris.
En suscitant l’engouement des lecteurs pour ces temps reculés et méconnus, les écrivains de l’époque romantiques jouent un rôle de premier plan dans la redécouverte du Moyen Âge. Notre-Dame de Paris, roman de Victor Hugo publié en 1831, attire l’attention sur la cathédrale parisienne, alors dans un état de grand délabrement. L’histoire tragique d’Esmeralda et de Quasimodo est à l’origine d’une mobilisation qui va permettre de sauver le monument médiéval.
Notre vocabulaire conserve le souvenir du jugement longtemps péjoratif porté sur le Moyen Âge. Nous qualifions encore de « moyenâgeux » un usage rétrograde, mais utilisons l’adjectif « médiéval » pour évoquer les grandes réalisations de cette période telles que les cathédrales.
Le Moyen Âge, une définition par défaut
Le Moyen Âge n’est ni la grande Antiquité ni la Renaissance. C’est ce qu’il y a entre les deux, grosso modo un millénaire : de la chute de l’Empire romain d’Occident en 476 au retour aux sources antiques dans l’Italie du 15e siècle.
Les historiens ont divisé en différentes étapes cette si longue période.
Chronologie du Moyen Âge :
- 4e-8e s. : Les invasions dites « barbares » puis les royaumes issus de ces invasions
- 9e s. : Le siècle de Charlemagne
- 10e-12e s. : L’époque romane (époque des grandes abbayes comme celle de Cluny)
- 12e- 15e/16e s. : L’époque gothique (temps des cathédrales comme Notre-Dame de Paris)
Voilà pour le cadre historique, mais revenons au thème de ce site : les meubles. Que reste-t-il du mobilier médiéval ? Pas grand-chose ! Très peu de meubles médiévaux ont été conservés, a fortiori du début du Moyen Âge. On en produisait d’ailleurs fort peu. Ils étaient réservés à une petite élite princière vivant dans des châteaux fortifiés ou des abbayes. Les rares exemples parvenus jusqu’à nous nous permettent difficilement de reconstituer le cadre de vie de ces privilégiés. Quant aux plus humbles, ils ne possédaient pas grand-chose, et bien sûr pas de meubles.
La plupart des meubles médiévaux conservés sont de style gothique – c'est-à-dire des derniers siècles du Moyen Âge. Il s’agit essentiellement de coffres et de sièges.
La Renaissance, l'entrée dans l'ère moderne
Le 15e siècle est jalonné d’événements et de découvertes qui inaugurent de profonds changements sociétaux et l'avènement d'une époque nouvelle.
- En 1453, les Turcs s’emparent de Constantinople, capitale de l’Empire byzantin – actuelle Istanbul. L’Empire romain d’Orient disparaît un millénaire après la chute de l’empire romain d’Occident.
- Deux ans plus tard, en 1455, l’Allemand Johannes Gutenberg met au point l’imprimerie. Cette technique va rapidement favoriser la diffusion des livres et donc des connaissances.
- En janvier 1492, la chute du royaume de Grenade marque la fin de la reconquête chrétienne de l’Espagne par les Rois Catholiques. Quelques mois plus tard, le navigateur génois Christophe Colomb atteint des terres jusque-là inconnues des Européens. Il pense être arrivé aux Indes (en Asie) ; il est en fait dans les Caraïbes.
- Enfin, la Réforme, initiée en Allemagne par Martin Luther, aboutit bientôt à la scission entre l’Église catholique et les églises protestantes.