Bureaux Louis XVI
Il n’y a pas d’innovation majeure dans le domaine des meubles servant à écrire.
Le bureau peut être plat ou à cylindre.
Le bureau plat est apparu au tout début du 18e siècle (voir la partie "bureau Régence").
Tout au long du siècle, sa silhouette a suivi la mode : le plateau et les pieds étaient courbes à l’époque rocaille ; ils sont parfaitement rectilignes à l’époque Louis XVI.
Sous le règne de Louis XVI, le Garde-Meuble de la Couronne a passé une importante commande de meubles à Benneman pour les appartements royaux des châteaux de Compiègne et de Fontainebleau dont l’aménagement avait été entrepris sous Louis XV.
Plateau rectangulaire et pieds quadrangulaires, les lignes de ce bureau de Benneman sont plutôt austères. Ses angles sont ornés de triglyphes et le centre de la ceinture d’une frise de postes – motifs antiquisants fréquents.
Notons que des tirettes latérales permettent de faire apparaître des tablettes qui augmentent la surface du bureau.
Le bureau plat peut être de dimensions plus réduites.
Dans la ceinture, une tablette coulisse pour former un espace permettant d’écrire.
Riesener fournissait également des meubles plus simples, mais toujours d’un grand raffinement, pour la bonne société parisienne. Sans ornement de bronze, ce bureau est un meuble de fonction, conçu pour une administration.
Un homme d’affaires ou un fonctionnaire peut passer des heures assis à son bureau. Il l’est dans un fauteuil dit de cabinet, souvent canné et garni de cuir (voir la partie « sièges Louis XVI »).
Vêtu à la dernière mode, le négociant Elijah Boardman pose en pied dans son magasin de New Milford dans le Connecticut, un bras posé sur le pupitre aménagé au-dessus d'une étagère accueillant les livres de compte de son entreprise. Une porte ouverte laisse entrevoir la marchandise : soieries, laines et cotons imprimés, importés d’Asie et d’Europe.
D’une élégance quelque peu exagérée, Mme Vestier pose pour son mari. Assise sur un fauteuil à dossier en anse de panier, elle est accoudée à une élégante table à écrire de Riesener.
Crayon en main, Riesener est en train de dessiner des ornements. C’est un bel homme et son élégance témoigne de sa réussite sociale. Vestier l’a peut-être un peu rajeuni. En 1786, Riesener avait cinquante-deux ans et venait de se remarier à une jeune femme de trente ans sa cadette. Ce portrait le montre au temps de sa splendeur.
Comme nombre d’ébénistes parisiens, Jean-Henri Riesener (1734-1806) est né en Allemagne. Arrivé à Paris à une vingtaine d’années, il a débuté dans l’atelier de son compatriote Jean-François Oeben. Ce dernier s'éteint en 1763 – il était alors en train de réaliser le bureau à cylindre de Louis XV. Riesener reprend l'atelier, puis épouse sa veuve.
En 1774, année de l’avènement de Louis XVI, l’ébéniste Gilles Joubert – alors très âgé – cède à Riesener sa charge d’ébéniste ordinaire du Garde-Meuble de la Couronne. Débute alors pour Riesener une décennie de succès et d’enrichissement au cours de laquelle il fournit de somptueux meubles pour les résidences royales et la haute société qui suit le ton de la Cour. Mais, en 1784, le nouvel intendant du Garde-Meuble, Thierry de Ville d’Avray, juge les prix de Riesener abusifs et met un terme à sa collaboration avec l’institution royale. Les commandes seront désormais passées à Guillaume Benneman ou à Adam Weisweiler, qui travaillaient déjà pour Riesener. En effet, ne pouvant réaliser dans son atelier de l’Arsenal – qui comprenait une douzaine d’établis – toutes les commandes qui lui étaient faites, Riesener sous-traitait une partie de son activité.
La Révolution – à laquelle il semble être resté indifférent – porte un coup fatal à son activité. Lors des grandes ventes révolutionnaires à Versailles, Riesener rachète plusieurs meubles qu’il avait fournis à la Couronne, pensant pouvoir les revendre en faisant un bénéfice. Ce ne sera pas le cas, son style, attaché à l’Ancien Régime, n’est plus à la mode. Il finit sa vie dans la gêne financière. Son fils, Henri-François Riesener, né de son premier mariage, est devenu peintre, formé entre autres auprès d’Antoine Vestier.
Table à écrire munie d’un pupitre
Cette table a été livrée en 1784 pour Marie-Antoinette par le marchand mercier Daguerre (voir la partie sur les « marchands merciers »).
Les cariatides formant piètement et l’entretoise faite de lignes entrelacées et enrichie d’une corbeille sont caractéristiques du travail de Weisweiler.
La ceinture de la table est ornée de motifs de bronze doré disposés en frise sur un fond d’acier poli.
En architecture, une caryatide est une statue de femme qui soutient l’entablement. Son équivalent masculin est l’atlante. Comme d’autres motifs antiques, la caryatide est réinterprétée dans l’ameublement. Souvent privée de bras, la partie inférieure de son corps adopte une forme de gaine.
La partie centrale du plateau se relève pour former un pupitre.
L’intérieur du meuble fait la part belle à la marqueterie. L’intérieur et les côtés extérieurs des tiroirs sont ornés de losanges de sycomore séparés les uns des autres par un triple filet (blanc, vert et noir). Chaque losange est enrichi de quatre disques d’ébène.
En 1789, cette table se trouvait dans les appartements de Marie-Antoinette au château de Saint-Cloud. Vendue pendant la Révolution, elle est achetée une soixantaine d’années plus tard par l’impératrice Eugénie qui l’installe dans le salon bleu du château des Tuileries, où elle accordait ses audiences.
Adam Weisweiler (1744-1820) est un des nombreux ébénistes allemands installés au faubourg Saint-Antoine (Paris). On sait, grâce aux documents d’époque, qu’il est devenu maître en 1778 ; on ignore cependant tout de la première formation qu’il a reçue dans son pays, puis de celle qu’il a pu suivre à Paris, où il travaille rapidement pour des marchands merciers, notamment Dominique Daguerre. Sous la Révolution, tout en poursuivant sa carrière d’ébéniste, Weisweiler se fait marchand de meubles, probablement en raison du décès de Daguerre. Il cesse toute activité à la mort de son épouse en 1809.
Un pupitre indépendant peut être placé sur une table.
Le bureau à cylindre
Le bureau à cylindre, lui, a été mis au point durant la période Transition. Il est très en vogue sous Louis XVI.
La silhouette de ce bureau (pieds légèrement courbes, cylindre à lattes, galerie de bronze doré couronnant la partie supérieure) le rattache au bureau imaginé par Jean-François Oeben pour Louis XV à partir de 1760 et achevé par Jean-Henri Riesener (voir la partie « bureaux de style Transition »). Son système de fermeture rappelle également celui du bureau royal : une même serrure permet de bloquer en même temps le cylindre et les tiroirs de la ceinture. Une différence toutefois, sur ce modèle, les tiroirs de la partie supérieure ne ferment pas à clé.
La partie supérieure comprend trois tiroirs ; celui du centre peut se transformer en pupitre.
Ce bureau à cylindre date de 1784, ce qui montre que les courbes héritées de l’époque Louis XV pouvaient encore être appréciées dix ans après la mort du souverain.
Ce meuble a été livré pour l’usage personnel de l’intendant du Garde-Meuble royal, Thierry de Ville d’Avray, le même qui a mis un terme à la collaboration de Riesener avec l’institution royale, arguant de ses prix astronomiques. Ville d’Avray a rapidement cédé ce bureau au comte de Provence (futur Louis XVIII) pour ses appartements du château de Fontainebleau.
Le château des Tuileries (aujourd’hui détruit) était une résidence royale parisienne, proche du Louvre. En 1784, Marie-Antoinette s’y était fait aménager un appartement afin de pouvoir y dormir après une soirée passée à Paris – la Cour résidant alors à Versailles. Cet appartement, à la dernière mode, comprenait divers meubles de Riesener, dont cet élégant bureau à cylindre. (Sur Marie-Antoinette, voir "l'introduction au style Louis XVI").
Le cylindre, comme les tiroirs, est orné d’une marqueterie de losanges. En son milieu, un ovale accueille les attributs de la poésie : plume, lyre et flûtes, livres et encrier.
Le motif de treillage se retrouve sur beaucoup d’autres meubles de Riesener.
Quatre bas-reliefs de bronze doré représentent les allégories des arts – ici : la sculpture. La présence d’un de ces bas-reliefs à l’arrière nous indique que ce bureau a été pensé pour être placé au milieu d’une pièce et non plaqué contre un mur.
Le bureau de Marie-Antoinette est resté aux Tuileries pendant la Révolution. Au 19e siècle, il a été envoyé au château de Saint-Cloud, puis a figuré dans le musée que l’impératrice Eugénie a consacré à Marie-Antoinette au Petit Trianon. Il a été abondamment copié et réinterprété à la fin du 19e siècle. Il est aujourd’hui conservé au Louvre.
L’acajou rehaussé de bronzes dorés annonce le style Empire.
Bernard Molitor (1755-1833), « un ébéniste heureux » : c’est sous ce qualificatif que le présente Daniel Alcouffe – conservateur au département du mobilier et des objets d’art du musée du Louvre – dans sa préface au catalogue de l’exposition que le Luxembourg a consacré en 1995 à l’enfant du pays. Heureux car, contrairement à d’autres artisans de son temps, Molitor a pu relancer son activité après la tourmente révolutionnaire. Sa carrière s’est étendue sur une cinquantaine d’années au cours desquelles il a su s’adapter à l’air du temps tout en conservant son identité stylistique. Nous aurons l’occasion d’évoquer son travail dans les parties consacrées à la Révolution, au style Empire et au style Restauration.
Fils d’un meunier – Molitor désignait le meunier dans les actes officiels luxembourgeois –, il naît en 1755 dans le duché du Luxembourg. Vers 1778, il s’installe à Paris, où il rejoint son cousin Michel, également ébéniste. Dix ans plus tard, à la veille de la Révolution, Bernard Molitor est un des ébénistes parisiens les plus prisés.
Le bureau à cylindre atteint parfois des proportions imposantes. En témoigne celui fabriqué dans l’atelier de David Roentgen, aujourd’hui conservé au Getty Museum.
Ce monumental bureau à cylindre regorge de mécanismes complexes, permettant de ranger documents et petits objets, mais aussi de les dissimuler.
David Roentgen (1743-1807) est un ébéniste allemand, à la tête d’une florissante manufacture située à Neuwied (Rhénanie), spécialisée notamment dans les meubles à transformations et à secrets, et les ouvrages mécaniques (voir "la joueuse de tympanon" du musée des arts et métiers, Paris). Ses œuvres, du coffret au monumental bureau, sont souvent enrichies de somptueuses marqueteries. Son père, Abraham Roentgen (1711-1792), lui-même ébéniste, s’était en partie formé en Angleterre, où il s’était imprégné du style de Thomas Chippendale. Père et fils ont travaillé ensemble pendant une douzaine d’années, de 1760 à 1772.
David Roentgen a toujours travaillé à Neuwied, mais il a fourni des meubles aux cours de Prusse, de Russie et de France, ce qui lui a valu en 1780 le titre d’ébéniste mécanicien du roi et de la reine (Louis XVI et Marie-Antoinette). Les pieds des meubles qui devaient être livrés loin de leur lieu de fabrication étaient démontables. Le voyage se faisait en effet sur des routes cahoteuses susceptibles d’endommager les meubles.
La Révolution et les guerres qui s’ensuivirent ont provoqué la ruine de la manufacture Roentgen.
Si les lignes du bureau sont néo-classiques, les scènes marquetées se rattachent, elles, plutôt à l’époque Louis XV.
Les marqueteries de la manufacture Roentgen sont souvent réalisées d’après des dessins de Janvier Zick (1730-1797), artiste de Coblence qui s’inspirait du travail de ses contemporains Jean-Baptiste Pillement ou François Boucher.
Le secrétaire
Le secrétaire, lui aussi apparu à l’époque Transition, est très apprécié sous Louis XVI. C’est un meuble haut, dont la partie supérieure est fermée par un abattant. Une fois ouvert, celui-ci fait office de table à écrire. Le secrétaire peut-être en armoire ou – nouveauté de l’époque Louis XVI – en cabinet.
Plus largement, est qualifié de « secrétaire » tout meuble permettant à la fois d’écrire et de garder des documents sous clé – au secret ! Le bureau à cylindre peut par conséquent entrer dans la catégorie des secrétaires.
Le secrétaire en armoire
Comme son nom l’indique, le secrétaire en armoire comprend une partie basse permettant de ranger toutes sortes de documents ou de petits objets. L’abattant dissimule également des casiers et autres tiroirs.
L’abattant de ce secrétaire – livré à Versailles en 1780 pour Marie-Antoinette – est orné d’une étonnante marqueterie représentant un coq entre un caducée et des instruments de musique.
Mentionnons ce secrétaire en armoire, conservé au Petit Palais à Paris. Son étonnant décor peint est très inspiré des bas-reliefs antiques.
Seule innovation de l’époque Louis XVI en matière de meubles d’écriture : le secrétaire à abattant en cabinet. La partie basse ne comprend pas d’espace de rangement, seulement des pieds reliés entre eux par une entretoise ou une tablette (en rognon).
Remarquons sur ce modèle les chandeliers permettant d'écrire de nuit et la tablette d'entrejambe en marbre.
L’aménagement intérieur de ce cabinet de Riesener peut être retiré ; il laisse alors apparaître des rangements secrets connus des seuls initiés.
La forme du secrétaire en cabinet rappelle le cabinet inventé au 17e siècle, d’où son nom (voir la partie « le cabinet, un nouveau meuble pour une nouvelle technique cabinets »).
Le secrétaire en cabinet de Martin Carlin étant de petites dimensions, il est moins lourd que les exemples précédents. Ses pieds ne sont donc pas reliés par une entretoise. Une fois l’abattant ouvert, on voit une écritoire doublée de velours, plusieurs tiroirs et compartiments.
Un marchand mercier a sans conteste présidé à la réalisation d’un tel meuble nécessitant l’intervention de différents artisans et la fourniture de matières précieuses. L’ébéniste, en l’occurrence Martin Carlin, a laissé des parties vides destinées à accueillir des plaques de porcelaine peinte (réalisées à la manufacture de Sèvres), les serrures, les bronzes dorés et les garnitures de soie et de velours. Le tout a été assemblé dans l’atelier de l’ébéniste, qui a livré le meuble achevé au marchand. C'est ce dernier qui l'a vendu au client final. L’ébéniste et le client, sauf exception, n’avaient pas de contact direct.