À l’opposé de l’aristocratique hôtel Biron près des Invalides à Paris, la villa des Brillants à Meudon est un endroit champêtre. Auguste Rodin (1840-1917) y a passé ses vingt dernières années ; il était alors célébrissime et constamment sollicité. C’est sa compagne de toujours, Rose Beuret, qui assurait le bon fonctionnement de ce lieu de vie et de création.
Rose et Auguste sont enterrés ensemble dans leur jardin. Ils s’étaient rencontrés très jeunes, en 1864, et sont tous deux morts l’année de leur mariage… en 1917! C’était l’hiver, la guerre imposait ses pénuries. Marcelle Tirel – alors secrétaire du sculpteur – relate le mariage : « Rodin et sa fiancée, blottis l’un contre l’autre, une couverture sur les genoux, ressemblaient à ces petites perruches que l’on nomme des inséparables. […] Les jours qui suivirent furent jolis. Comme ni ministres, ni amis n’avaient pu envoyer une once de charbon pour ses pauvres vieillards qui mouraient de froid, ils restaient couchés du matin au soir. D’un lit à l’autre, ils se tenaient la main, se souriaient, parlaient de leur vie de misère, de leur jeunesse. Enfin c’était une image originale de la lune de miel ». Rose meurt deux semaines plus tard ; son veuf lui survit neuf mois. Une vie ensemble et un enfant : Auguste (comme son père) Beuret (comme sa mère). Le fils illégitime a entretenu des relations difficiles avec ce père démesuré qui osait dire qu’un artiste n’a qu’un enfant, son art.
À la fin de sa vie, Rodin a préparé sa succession. Il a légué à l’État sa propriété de Meudon et l’ensemble de ses œuvres et ses collections. Le musée Rodin de Paris ouvre en 1919 ; Meudon après la Seconde Guerre mondiale.
Le domaine de madame Rodin :
Petite couturière venue de Champagne à Paris, peu instruite, Rose est la compagne idéale pour l’homme simple, artisan avant tout, qu’est Rodin. Elle s’occupe du foyer et sert de modèle quand il le faut, supportant plus ou moins stoïquement les infidélités de son compagnon. Lorsque Rodin achète cette villa, l’aisance est enfin venue. Il est souvent en voyage ou retenu à Paris ; c’est donc Rose qui règne sur Meudon, seul endroit où on l’appelle madame Rodin. Secondée par un valet et une cuisinière, elle assure les tâches ménagères, s’occupe des animaux – deux vaches, un cheval, une chèvre mais aussi chiens, poules, canards, cygnes, paons, et même un vieux singe. Par ailleurs, Rodin emploie jusqu’à cinquante personnes à Meudon, dont Rainer Maria Rilke comme secrétaire. Le jeune poète lui fait découvrir l’hôtel de Biron – futur musée Rodin.
Le visiteur, accueilli par des tirages en bronze d’œuvres célèbres de Rodin, suit une allée conduisant à la villa des Brillants :
L’intérieur de la villa est sobrement meublé :
Outre la maison proprement dite, les visiteurs peuvent accéder à la galerie des plâtres, un lieu d’exposition construit en 1931 – en remplacement du pavillon de l’Alma.
Lors des prochaines journées européennes du Patrimoine (15-16 septembre 2018), un nouvel espace – l’atelier des antiques – sera inauguré. Rodin était aussi collectionneur, notamment de sculptures gréco-romaines, égyptiennes et médiévales.
Le célèbre pavillon de l’Alma avait, quant à lui, été détruit quelques années après la mort du sculpteur :
1900 : Rodin a soixante ans. Paris accueille une exposition internationale retentissante. On peut en faire le tour sur un trottoir roulant à 8 km/h et placé à sept mètres de haut, baptisé « la rue de l’Avenir » ; des visiteurs se promènent avec une chambre photographique ; Thomas Edison et Louis Lumière filment.
Plus de cinquante millions de visiteurs en sept mois. Rodin – alors au faîte de sa carrière – expose cent cinquante de ses sculptures dans son propre pavillon, qu’il a fait construire à ses frais près de la place de l’Alma. Après l’exposition, le pavillon, remonté à Meudon, devient le premier musée Rodin. En 1904, l’écrivain autrichien Stefen Sweig en fait la visite – guidée par le maître : « C’était une salle immense qui réunissait les répliques de ses œuvres les plus importantes ; mais parmi elles, se dressaient ou gisaient des centaines de précieuses petites études – une main, un bras, une crinière de cheval, une oreille de femmes, la plupart en plâtre seulement. […] Je pourrais parler pendant des heures de l’heure unique que je passai là ».
L’âme de Rodin est à Meudon :
Cependant le Bayreuth de la sculpture – selon l’expression de Judith Cladel, la première biographe de Rodin – n’est pas figé dans le culte au grand homme. Au contraire, c’est un lieu ouvert à la jeunesse et à la création contemporaine, comme l’aurait aimé Rodin. La Classe, l’œuvre ou C’est mon patrimoine sont des programmes d’éducation artistique et culturelle auxquels participe la maison de Meudon, qui est, par ailleurs, mise à disposition de La Source Grand Paris. Fondée par l’artiste Gérard Garouste, cette association accompagne des enfants et adolescents en détresse sociale par le biais d’ateliers menés par des artistes professionnels. Pour plus d’informations sur ces actions : http://musee-rodin.fr/fr/meudon/education-artistique-et-culturelle
Le jeune Rodin avait, lui aussi, connu des moments douloureux. Très affecté par la mort de sa sœur Maria, il avait pensé entrer dans les ordres. Plusieurs fois refusé aux Beaux-Arts, il avait dû se contenter de sa formation à la « petite école » – école impériale de dessin. La carrière d’un sculpteur n’ayant pas suivi la prestigieuse formation était laborieuse et sa vie matérielle difficile. « J’ai eu jusqu’à cinquante ans, tous les ennuis de la pauvreté ; j’ai toujours vécu comme un ouvrier, mais le bonheur de travailler m’a fait tout supporter », confiait-il à la fin de sa vie. Aujourd’hui sa maison et son exemple offrent à d’autres la possibilité de s’extraire d’un quotidien compliqué.
À voir, à lire :
Bénédicte Garnier, La villa des Brillants à Meudon, éditions du musée Rodin/ Le Chêne, Paris, 2015, 192 p.
Raphaël Masson, Véronique Mattiusi, Rodin, Flammarion, Paris, 2016, 247 p.
Rodin, film de Jacques Doillon avec Vincent Lindon et Izïa Higelin dans les rôles principaux, 2017. Plusieurs scènes du film ont été tournées à Meudon, notamment celle du Balzac photographié au clair de lune par Edward Steichen.
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