Une brève histoire des styles au château de Cheverny

Sandrine Zilli
sandrine@histoiredumobilier.com
À quelques kilomètres de Blois et de Chambord, le domaine de Cheverny conserve de beaux décors et un ensemble de meubles de diverses époques, nous rappelant qu’un château n’est jamais figé dans son état d’origine. Il se transforme au gré de l’évolution des modes de vie et des goûts de ses habitants.
La plus ancienne mention de Cheverny – dans un acte notarié – remonte à 1315. Cependant, rien ne subsiste du château médiéval. Celui que l’on visite aujourd’hui a été construit sous le règne de Louis XIII (à partir des années 1620), en pierre de Bourré – un tuffeau de la région – qui blanchit et durcit à l’air. Son style est homogène : deux ailes symétriques se déploient de part et d’autre d’un étroit pavillon central, en ressaut, qui accueille l’escalier d’honneur. L’architecture vous rappelle quelque chose ? Rien d’étonnant : Hergé s’en est inspiré pour dessiner Moulinsart, le château du capitaine Haddock. Un espace d’exposition est d’ailleurs réservé à Tintin à Cheverny.
L’escalier d’honneur permet de rejoindre l’étage noble d’où règne le propriétaire du domaine, tandis que le rez-de-chaussée est traditionnellement réservé aux pièces de réception.

Voyage dans les décors du passé

Les armoiries de la famille Hurault – un soleil rayonnant associé à une croix noire – parsèment le château.
Les Hurault sont propriétaires du domaine de Cheverny depuis sept siècles, si l’on excepte quelques périodes où ils se sont vus contraints de le céder, par exemple à Diane de Poitiers au XVIe siècle – le château que nous connaissons aujourd’hui n’existait pas encore. De Cheverny, la favorite d’Henri II surveillait aisément les travaux qu’elle avait fait entreprendre au château de Chenonceau que le roi venait de lui offrir. C’est probablement en souvenir de cet intermède que figure sur la cheminée de la salle d’armes le chiffre d’Henri II – qui mêle le H d’Henri au D de Diane.
Le manteau d’une cheminée est la partie surmontant l’âtre ; il peut être richement orné. En l’occurrence, le chiffre de Henri II surmonte un tableau de Jean Mosnier figurant la mort d’Adonis, jeune chasseur d’une beauté hors du commun dont la mort désespère la déesse Vénus. De part et d’autre de ce tableau du XVIIe siècle, se tiennent deux figures sculptées : Mercure et Vénus. Mercure, messager des dieux, est reconnaissable au chapeau ailé qu’il porte et au caducée qu’il tient – un bâton autour duquel s’enroulent deux serpents et surmonté d’ailes. Quant à Vénus, déesse de l’Amour et de la Beauté, elle est accompagnée par Cupidon armé d’un arc. En décochant ses flèches dans le cœur des humains et des dieux, il leur insuffle la passion amoureuse. Comme souvent dans les châteaux, la mythologie est à l’honneur !
Comme d’autres parties du château, la salle à manger a été réaménagée au 19e siècle. Elle s’est notamment enrichie d’un buffet-desserte abondamment sculpté. Elle a néanmoins conservé son décor d’origine : un plafond à la française (c’est-à-dire à poutres peintes) et des peintures murales illustrant des épisodes de « L’ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche », roman de Miguel de Cervantes qui venait d’être publié en français lorsque ce décor a été réalisé.
Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le plafond à la française cède peu à peu la place au plafond à l’italienne qui, lui, est divisé en caissons de taille et de forme différentes abritant des scènes figuratives.
La salle d’armes présente elle aussi un décor peint aux références littéraires, cependant plus savantes, dans le goût des précieuses du milieu du XVIIe siècle, ces femmes dont Molière s’est moqué.  
Des narcisses sont surmontés d’une inscription latine – Mei me perdidit ardor, à savoir « L’amour de moi-même m’a perdu » – allusion claire au mythe de Narcisse, jeune homme tombé amoureux de son image.

Un bel ensemble de meubles

La collection de meubles du château de Cheverny illustre les principaux styles du mobilier français, d’un coffre au complexe mécanisme de fermeture où l’on pouvait serrer argent et objets précieux au berceau dans lequel on présentait les nouveau-nés au début du XXe siècle.
 
La splendide commode en marqueterie Boulle et le lit du roi garni de soieries de Perse illustrent la magnificence du siècle de Louis XIV.
Il s’agit d’un lit à la duchesse – c’est-à-dire dont la couche et le dais sont d’égales dimensions.  Cette forme de lit est particulièrement adaptée au lever et au coucher cérémoniels comme Louis XIV l’a systématisé à Versailles. En effet, il est très haut et ses rideaux flanquent un imposant chevet – les rideaux ne font plus le tour du lit comme c’était le cas au Moyen Âge afin de protéger l’utilisateur du lit des courants d’air. Tout est fait pour mettre en scène la personne qui se couche ou se lève : c’est un lit d’apparat. Après s’être « officiellement couché », le châtelain peut aller dormir dans un lit plus confortable, dans une pièce mieux chauffée. Le roi Soleil n’a jamais dormi à Cheverny, mais le lit aurait été digne de lui !
À la fin du règne de Louis XIV – première partie du 18e siècle – les lignes des commodes et des sièges s’assouplissent, la courbe se fait de plus en plus présente. On parle de style Régence.
À l’époque rocaille (début du règne de Louis XV), les courbes sont très accentuées et les motifs décoratifs asymétriques. Si on trace une ligne coupant le régulateur en deux, on constate que les motifs décoratifs ne sont pas symétriques.
Dès le milieu du 18e siècle, les courbes s’assagissent, annonçant les lignes droites du style Louis XVI : c’est l’époque Transition. Parmi les grands ébénistes de cette époque : Jean-Henri Riesener.
Les commodes Transition se caractérisent par un ressaut central terminé par un motif en tablier. Le frisage – technique de marqueterie formant des motifs géométriques, souvent des chevrons – est alors très en vogue.
Sous l’influence de l’art antique – on redécouvrait alors les sites enfouis d’Herculanum et de Pompéi –, l’époque Louis XVI voit le retour de la ligne droite, auquel s’ajoute la mode de l’acajou. Lignes droites et acajou resteront à la mode pendant toute l’époque de Napoléon Ier et même au-delà.
Mentionnons enfin un style plus méconnu, en vogue dès les années 1820, le néogothique. Comme son nom l’indique, il revisite le style gothique, celui de l’époque des grandes cathédrales médiévales.
La chaire, siège caractéristique du Moyen Âge, est liée au pouvoir. Son haut dossier met en valeur le maître de maison, qui pose ses bras sur les accotoirs (les côtés). Ici, le dossier, sculpté d’une Crucifixion, est impossible à utiliser. Il serait d’ailleurs inconvenant de tourner le dos à cette scène sacrée. C’est une œuvre d’art, pas un meuble – par définition utilitaire.
Si l’aménagement du château de Cheverny s’est modifié au fil des siècles ; aujourd’hui sa décoration change quatre fois par an, au gré des saisons. Chaque visite est unique !