Style Louis XVI : 1770-1790
Le style Louis XVI est en place dès les dernières années du règne de Louis XV (vers 1770) et se prolonge jusqu’au début de la Révolution française.
En mai 1774, après cinquante-neuf ans de règne, Louis XV meurt de la variole au château de Versailles. L’aîné de ses petits-fils, le duc de Berry, devient Louis XVI. Le nouveau monarque a vingt et un ans ; son épouse, Marie-Antoinette d’Autriche, dix-neuf. Une lourde tâche, à laquelle ils sont mal préparés, les attend.
Zoom sur le contexte historique et culturel
En 1756, la France s’éloigne de la Prusse, son allié traditionnel, et se rapproche de l’Autriche, son ennemie héréditaire, et ce, afin de contrer la montée en puissance de la Prusse et de l’Angleterre. Ce renversement des alliances aboutit à la guerre de Sept Ans (1756-1763). Vaincue, la France perd ses colonies d’Amérique et beaucoup de son influence politique en Europe. Cette défaite, associée à l’usure du pouvoir – le règne de Louis XV a débuté en 1715 –, accroît l’impopularité de Louis XV.
L’union du dauphin (futur Louis XVI) et de l’archiduchesse d’Autriche, célébrée en 1770, est le gage de la nouvelle alliance diplomatique orchestrée par le duc de Choiseul, tout puissant ministre des Affaires étrangères.
Le début de la brillante carrière de Choiseul (1719-1785) avait été facilité par Mme de Pompadour, favorite royale à partir de 1745. Ambassadeur à Rome, puis à Vienne, il est nommé ministre des Affaires étrangères et son cousin le duc de Pralin, ministre de la Marine. Dans la décennie 1760, Choiseul s’impose comme un des hommes les plus puissants du royaume. Son opposition frontale à la comtesse du Barry contribue largement à sa disgrâce – sa sœur, la duchesse de Gramont, avait tenté en vain d’accéder au rang de maîtresse officielle.
En 1770, sur ordre de Louis XV, le duc de Choiseul s’exile sur son splendide domaine de Chanteloup, près d’Amboise. La haute aristocratie se presse pour rendre visite au banni, défiant ainsi l’autorité royale. La mort de Louis XV ne ramène pas Choiseul au pouvoir comme il a dû l’espérer. Le nouveau roi lui préfère le comte de Maurepas.
Du domaine de Chanteloup, détruit dans les années 1820, il ne reste qu’une étonnante pagode qui ornait les jardins. Une tabatière semblable à celle-ci, conservée dans une collection privée, est ornée de vues de l’hôtel particulier parisien du duc de Choiseul.
Louis XVI et Marie-Antoinette, des personnalités opposées
Louis XVI, roi consciencieux
Louis XVI est intelligent, instruit, désireux de bien faire, mais inexpérimenté et pusillanime. L’exercice du pouvoir lui est difficile. Tout au long de son règne, il saura écouter les différents avis, mais peinera à trancher et à se tenir à ses décisions. Dès son accession au trône, Maurepas s’inquiétait de le voir céder au dernier qui a parlé. Par ailleurs, Louis XVI n’a jamais vécu ailleurs qu’au palais de Versailles – un monde à part –, il connaît mal son pays et son peuple. À l’exception de son sacre, traditionnellement célébré à Reims, il n’a effectué qu’un seul voyage, en Normandie en 1786.
L’objet de ce voyage était la visite du port de Cherbourg. Le roi y avait lancé un chantier pharaonique : la construction d’une digue de quatre kilomètres afin de fermer la baie. Cette digue devait se composer de 90 cônes de charpenterie de 20 mètres de haut, lestés de pierres une fois coulés au large. La rade ainsi créée serait défendue par quatre forts ; quatre-vingts vaisseaux français pourraient y prendre place face aux côtes anglaises.
Au cours de ce voyage de propagande, Louis XVI trouve le mot juste pour chacun et reçoit d’innombrables témoignages d’affection et de respect – de l’aubergiste de Laigle qui le prend dans ses bras aux officiers qui lui expliquent les travaux entrepris et s’étonnent des connaissances du roi en matière maritime. Féru de sciences, mais aux connaissances purement livresques, Louis XVI voit la mer pour la première fois de sa vie et assiste au coulage du 9e cône. Je n’ai jamais mieux goûté le bonheur d’être roi que le jour de mon sacre et depuis que je suis à Cherbourg ou encore L’amour de mon peuple a retenti jusqu’au fond de moi, écrit-il à Marie-Antoinette, enceinte et par conséquent restée à Versailles.
Le projet est suspendu par la Révolution. Il sera repris par Napoléon au début du 19e siècle suivant une technique différente, les cônes de bois ne résistant pas aux puissants courants de la Manche.
Marie-Antoinette, à qui on a prêté beaucoup d’influence sur son mari, n’en a en fait exercé aucune avant la Révolution. Louis l’a toujours tenue éloignée de la politique. Les premières années de leur union ont été compliquées. Les souverains sont inexpérimentés et ne partagent aucun centre d’intérêt. Louis XVI aime chasser et lire. Il a reçu une solide formation, certes conservatrice – les idées politiques nouvelles portées par les philosophes n’ont pas voix au chapitre à la Cour. Pour Louis XVI, la monarchie française doit rester de droit divin. Il s’intéresse particulièrement à l’histoire, la géographie, la mécanique. C’est en cela un homme de son temps, du siècle des Lumières. Il a par exemple confié à Jean-François La Pérouse une expédition scientifique dans le Pacifique, dans l’objectif de compléter les découvertes de l’Anglais James Cook.
Marie-Antoinette, faiseuse de tendances
Marie-Antoinette, elle, a reçu une instruction beaucoup moins rigoureuse. De nature joyeuse et insouciante, elle aime la fête, le jeu – où elle perd des sommes folles – et les toilettes. Marie-Antoinette ne suit pas la mode, elle la fait. À l’arrivée à Versailles de la jeune Autrichienne, on confie la responsabilité de sa garde-robe à la duchesse de Villars, qui avait déjà occupé cette fonction trente ans plus tôt auprès de la reine Marie Leszczynska. Les vêtements et accessoires livrés à la dauphine sont certes d’excellente qualité, mais pas à la dernière mode ! L’élégance de certaines dames de la cour, notamment de la comtesse du Barry qui se fournit chez Rose Bertin, montre à la dauphine qu’on peut s’habiller autrement. Dès son accession au trône, Marie-Antoinette rencontre à son tour la célèbre marchande de mode, qui devient rapidement sa couturière quasi exclusive, et ce, jusqu’en 1789. Les deux femmes se rencontrent au moins deux fois par semaine à Versailles, dans les petits appartements de la reine. Il s'agit des appartements privés de la reine, ainsi nommés par opposition aux Grands Appartements, publics, haut lieu de l’étiquette. Dans le salon de la Méridienne, la couturière présente des échantillons de tissu, modèle ses robes sur le corps de la souveraine, procède aux essayages et aux retouches. Lors de la réfection du plancher de ce salon il y a une dizaine d’années, on y a retrouvé des épingles.
On peut dire que l’admission d’une marchande de modes chez la reine fut suivie de résultats fâcheux pour Sa Majesté. L’art de la marchande, reçue dans l’intérieur en dépit de l’usage qui en éloignait sans exception toutes les personnes de sa classe, lui facilitait les moyens de faire adopter chaque jour quelque mode nouvelle. La reine, jusqu’à ce moment, n’avait développé qu’un goût fort simple pour sa toilette. Elle commença à en faire une occupation principale ; elle fut naturellement imitée par toutes les femmes.
Madame Campan, Mémoires, 1822
Les dépenses de la reine pour sa garde-robe passent de 30 000 livres en 1776 à 108 000 en 1780, alimentant son impopularité.
Le fantasque perruquier Léonard imagine pour Marie-Antoinette des coiffures extravagantes. Il met au point le pouf, un échafaudage de gaze sur lequel il dispose fleurs fraîches, fruits, plumes et divers objets encore. Par exemple, alors que le pouvoir encourageait la consommation de pommes de terre afin de lutter contre la disette, la reine arbore sur sa coiffure des fleurs de ce tubercule originaire d’Amérique, qui suscitait beaucoup de méfiance chez les Français. Nous conservons aussi le souvenir de la coiffure « à la Belle-Poule » du nom d’un navire de guerre français, symbole du soutien français à la lutte pour l’indépendance des colonies anglaises d’Amérique du Nord.
[…] Les coiffures parvinrent à un tel degré de hauteur […] que les femmes ne trouvaient plus de voitures assez élevées pour s’y placer, et qu’on leur voyait souvent pencher la tête ou la placer à la portière. D’autres prirent le parti de s’agenouiller pour ménager, d’une manière encore plus sûre, le ridicule édifice dont elles étaient surchargées. Des caricatures sans nombre exposées partout, et dont quelques-unes rappelaient malicieusement les traits de la souveraine, attaquèrent inutilement l’exagération de la mode [...].
Madame Campan, Mémoires, 1822
La méconnaissance des effets que son comportement pouvait avoir sur l’esprit de ses sujets a eu de graves conséquences pour Marie-Antoinette. Ses maladresses remontent à ses débuts à Versailles. La jeune fille n’a pas saisi l’importance de l’étiquette, cet ensemble de règles contraignantes réglementant la vie à la Cour, et personne n’a su le lui faire comprendre, comme l’analyse très bien Mme Campan :
Mme la comtesse de Noailles n’avait rien d’agréable dans son extérieur ; son maintien était roide, son air sévère. Elle connaissait parfaitement l’étiquette ; mais elle en fatiguait la jeune princesse sans lui en démontrer l’importance. Toutes ces formes étaient gênantes à la vérité ; mais elles avaient été calculées sur la nécessité de présenter aux Français tout ce qui peut leur commander le respect, et surtout de garantir une jeune princesse, par un entourage imposant, des traits mortels de la calomnie. Il aurait fallu faire sentir à la dauphine, qu’en France sa dignité tenait beaucoup à des usages qui n’étaient nullement nécessaires à Vienne pour faire respecter et chérir la famille impériale par les bons et soumis Autrichiens. La dauphine était donc perpétuellement importunée par les représentations de la comtesse de Noailles, et en même temps excitée par l’abbé de Vermond à tourner en dérision et les préceptes sur l’étiquette et celle qui les donnait. Elle écouta plutôt la raillerie que la raison, et surnomma Mme la comtesse de Noailles : Madame l’Étiquette. Cette plaisanterie fit présumer qu’aussitôt que la jeune princesse agirait selon ses volontés, elle se soustrairait aux usages imposants.
En refusant de se soumettre entièrement à l’étiquette, en excluant de son entourage proche ceux qui l’ennuient, en s’isolant le plus souvent possible sur son domaine de Trianon, avec ses amis – la duchesse de Polignac, le marquis de Vaudreuil, le baron de Besenval… – Marie-Antoinette laisse prise à la médisance.
Ce qu’un courtisan voit obtenir à d’autres lui semble toujours pris sur son bien, c’est une règle, nous rappelle Mme Campan. Dans cette occasion cependant, on envia moins le matériel des grâces accordées aux Polignac, que l’intimité qui allait s’établir entre eux, leurs clients et la reine. On vit dans le cercle de la comtesse Jules (Mme de Polignac), une porte ouverte pour obtenir la faveur, les grâces, les ambassades. Ceux qui n’avaient pas l’espoir d’y entrer furent irrités.
De la jeune Dauphine admirée à la reine méprisée
Les libelles orduriers se multiplient, souvent financés par de grands aristocrates vexés et rancuniers qui ne se rendent pas compte qu’en salissant la reine, c’est l’institution monarchique qu’ils mettent en danger. Et comme Louis XVI n’avait pas de maîtresse, il était impossible de rejeter la responsabilité de tous les dysfonctionnements de la Cour et du royaume sur une Pompadour ou une du Barry.
Ses contemporains et les historiens ont souvent évoqué la frivolité de Marie-Antoinette, par exemple en évoquant le défi qu’elle avait lancé à son jeune beau-frère le comte d’Artois : faire édifier en moins de trois mois un élégant petit château dans le bois de Boulogne. Ils avaient parié 100 000 livres ; la construction en avait coûté le triple et mobilisé des centaines d’ouvriers jour et nuit.