De mystérieux coffrets à estampe
Sandrine Zilli, diplômée en histoire de l'art – école du LouvreEn 2020, le musée de Cluny (Paris) a exposé d’étranges coffrets pour la plupart en relation avec un peintre majeur des années 1500, Jean d’Ypres.

Trois coffrets à estampe (gravure de sainte Apolline ; gravure de l’Apparition de la Vierge au 14e siècle ; gravure de saint Sébastien, d’après Jean d’Ypres), vers 1510, musée de Cluny ©RMN-Grand Palais (musée de Cluny, musée national du Moyen Âge)/Jean-Gilles Berizzi
Ces coffrets de hêtre, réalisés en série, sont de qualité moyenne. Leur taille varie, mais pas leur forme, toujours rectangulaire. L’intérieur du couvercle (plat ou bombé) est orné d’une estampe. Ce couvercle comprend parfois une logette dans laquelle on devait glisser quelque chose – probablement une relique – qui dans tous les cas a disparu. Plus étrange, cette logette devenait inaccessible une fois le coffret définitivement cloué.
La fonction de ces coffrets – garnis de cuir, bardés de fer, munis d’une serrure et de passants pour enfiler une lanière – reste mystérieuse. Coffres de voyage ? Leur fragilité l’exclut ; plutôt un cartable de luxe ! En effet, leur format est aussi celui du livre. On y rangeait peut-être un ouvrage de dévotion. L’iconographie des gravures ornant l’intérieur témoigne d’une piété très émotionnelle, encourageant les fidèles à éprouver les émotions du Christ, de la Vierge et des saints.

Coffret en bois, cuir et fer forgé ; gravure sur bois colorée sur papier vergé : « Les habitants de Recanati partent en Judée et à Nazareth mesurer les fondations de la Santa Casa » d’après Jean d’Ypres, vers 1510 ; musée de Cluny © RMN-Grand Palais (musée de Cluny, musée national du Moyen Âge) / Stéphane Maréchalle
Grâce au filigrane de leur papier, les estampes sont plus faciles à dater que les coffrets : elles sont de la toute fin du 15e siècle, époque de la Dame à la Licorne – que l’on peut admirer par la même occasion. D’ailleurs, tout laisse penser que les dessins préparatoires au tissage de cette tenture seraient de Jean d’Ypres.

Coffret en bois, cuir et métal, xylographie colorée au pochoir « la Vierge aux litanies, la Dérision de Job, la Face du Christ et la Vierge de douleurs Paris », vers 1500 ; Paris, BnF, département des estampes et le la photographie ©BnF

Coffret en bois, cuir et métal, xylographie colorée au pochoir « L’entrée du Christ à Jérusalem » d’après Jean d’Ypres, vers 1500 ; Paris, BnF, département des estampes et de la photographie ©BnF

Coffret en bois, cuir et métal, xylographie « saint Sébastien » d’après Jean d’Ypres, Paris, vers 1500 ; Paris, musée de Cluny ©RMN-Grand Palais (musée de Cluny-musée national du Moyen-Âge)/Jean-Gilles Berizzi
Ces estampes sont des xylographies (gravures sur bois), mises en couleur au pochoir – ce qui explique les débordements de couleurs. Medium apparu dans les pays germaniques vers 1400, la gravure sur bois se répand en Italie dans la seconde moitié du 15e siècle et n’arrive en France que vers 1490.
Les estampes restées à l’abri dans un coffret – et par conséquent peu exposées à la lumière – sont assez bien conservées ; certaines ont tout de même souffert de deux facteurs d’altération : la rouille des clous et les insectes dévoreurs de papier.
Des artisans – graveurs, enlumineurs, verriers, lissiers ou ivoiriers – ont transposé les compositions magistrales du peintre Jean d’Ypres :

« Grande Passion », xylographie coloriée et rehaussée d’or, réalisée à Paris, fin du 15e siècle ; Paris, Bibliothèque nationale de France ©BnF, département des estampes et de la photographie
Plusieurs éléments rendent cette estampe exceptionnelle : son format (environ 50 cm de haut), sa composition – à la fois dense et facilement lisible – et sa mise en couleur de très grande qualité. Elle a été colorée par un enlumineur de grand talent ; on est loin ici de la technique schématique et répétitive du pochoir.

« Portement de croix », vitrail de l’hôtel de Cluny d’après Jean d’Ypres Paris, verre coloré, verre blanc et plomb, vers 1500, ©RMN-Grand Palais (musée de Cluny, musée national du Moyen Âge)/Franck Raux

« Portement de Croix et Crucifixion », diptyque d’après Jean d’Ypres, ivoire, vers 1500 ; Rouen, musée des antiquités ©département de la Seine-Maritime, musée départemental des antiquités ; photographie : Yohann Deslandes

« Annonciation », manuscrit enluminé sur parchemin dit « les Très Petites Heures d’Anne de Bretagne », d’après Jean d’Ypres, Paris, fin du 15e s. ; Paris, BnF ©BnF, département des Manuscrits
Infos pratiques :
Musée de Cluny, musée national du Moyen Âge : 28, rue Du Sommerard, 75005 Paris. Pour en savoir plus, consulter le site du musée