Depuis le Moyen Âge, tous les métiers artisanaux sont organisés en corporations, organisations strictement hiérarchisées contrôlant production et apprentissage. Intéressons-nous à celle des menuisiers ébénistes. Précisons d’emblée que tous ne travaillent pas à la fabrication de meubles. À la veille de la Révolution, il y a environ 900 maîtres menuisiers ébénistes à Paris. À peine un tiers fabrique des meubles ; les autres sont menuisiers en bâtiments, en carrosses ou en instruments de musique. Sur les presque 300 artisans du meuble, il y aurait eu environ 150 maîtres ébénistes et 130 maîtres menuisiers.
Au sommet de la hiérarchie : les maîtres ; suivent les compagnons et enfin les apprentis
Le chemin est long avant de postuler à la maîtrise. Les aspirants entrent en apprentissage dans l’atelier d’un maître entre 12 et 14 ans ; ils y restent généralement six ans. Après l’apprentissage, vient le compagnonnage dont la durée est variable : trois ans pour un apprenti parisien, 6 ans pour un apprenti étranger à la corporation parisienne. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas devenir maître avant 21 ans. Dans la pratique, on devient maître bien plus tard, surtout quand on n’est pas fils ou gendre de maître, autrement dit pistonné. En effet, pour accéder au statut de maître, il faut réaliser un chef-d’œuvre et payer des droits ; cela nécessite du temps et des économies. Par conséquent, tous les compagnons ne deviennent pas maîtres. Favoritisme, népotisme, voire corruption, semblent avoir joué un rôle non négligeable. L’ébéniste Mathieu Criaerd (1689-1776) est reçu maître à… 49 ans ! Fils d’un bourgeois de Bruxelles, il s’est installé à Paris avant 1721, année où il se marie avec la fille d’un ébéniste du faubourg Saint-Antoine. Son fils aîné, Antoine-Mathieu, qui lui, du coup, n’est plus étranger : ni au pays ni à la corporation, devient maître à… 25 ans et s’installe dans le quartier du Palais-Royal. Le parcours de son père a facilité le sien.
Une fois reçu, le maître prête serment. Il peut alors ouvrir son propre atelier et vendre des meubles, fabriqués par lui-même ou par un confrère. Il a par ailleurs obligation de former des apprentis.
Les mariages entre familles de menuisiers étaient fréquents, tout comme ils l’étaient entre familles d’ébénistes. Curieusement, menuisiers et ébénistes ne se sont que rarement mélangés, bien que les deux métiers soient très proches. Plusieurs explications sont avancées. Tout d’abord, la question religieuse : les menuisiers étaient catholiques tandis que les ébénistes d’origine étrangère étaient souvent protestants. Par ailleurs, menuisiers et ébénistes ne vivaient pas dans les mêmes quartiers de Paris. Les menuisiers étaient rassemblés dans le quartier Bonne-Nouvelle, entre la place des Victoires et la porte Saint-Denis ; la rue de Cléry concentrait à elle seule une soixantaine de menuisiers. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la zone était interdite aux ébénistes, mais ils y étaient peu nombreux. Les ébénistes étaient, quant à eux, largement majoritaires au faubourg Saint-Antoine : la rue du Faubourg-Saint-Antoine en comptait environ 80 pour seulement une dizaine de menuisiers ; et on peut supposer que ces derniers se consacraient plus à la fabrication de bâtis de meubles destinés à être marquetés qu’à la création de sièges.
Malgré son importance, la corporation des menuisiers ébénistes n’est pas toute puissante. Elle n’a le monopole ni de la fabrication ni de la vente de mobilier. En effet, deux statuts privilégiés permettent d’échapper à son joug : les artisans libres et les artisans sous privilège royal.