Les dames de Boussac

Sandrine Zilli
sandrine@histoiredumobilier.com
Que deviendra la demeure du maréchal de Boussac, compagnon de Jeanne d’Arc, qui abrita les célèbres tapisseries de la Dame à la Licorne, et dont nous donnons des vues intérieures démontrant son abandon actuel, s’alarmait en 1963 un rédacteur de la revue « Mémoires de la Société des sciences naturelles et archéologiques de La Creuse ». 
Réponse à son inquiétude : le château, quasiment en ruine, a été acheté peu après par Bernadette et Lucien Blondeau, jeune couple alors à la recherche d’une maison entre Aubusson et Montluçon – une maison plutôt de plain-pied. Raté ! L’imposante bâtisse médiévale est haute d’une trentaine de mètres.

Une silhouette médiévale en ruine

Le château de Boussac a été construit au début du 15e siècle sur les vestiges d’un château antérieur. Au fil des siècles, de vastes fenêtres ont été percées afin de faire enter largement la lumière dans une demeure que l’on souhaitait agréable. Boussac a néanmoins conservé sa forte identité médiévale – tours couvertes en poivrière, lucarnes sculptées de motifs gothiques.
Dans les années 1960, Boussac s’apparente à une ruine – portes et fenêtres sont lacunaires, plusieurs poutres pourrissent, l’escalier d’honneur ruisselle d’eau. Les époux Blondeau s’attellent à la renaissance de leur bâtisse. Patiemment, ils l’ont restaurée, meublée, décorée.
Les travaux, importants et urgents, nécessitaient des fonds incessants. Heureusement les nouveaux propriétaires de Boussac ont pu compter sur de généreuses contributions familiales pour meubler et orner leur château. La famille de madame a fourni meubles et objets décoratifs ; celle de monsieur, des tapisseries. Le père de la jeune Bernadette était établi antiquaire à Montluçon, tandis que Lucien, lui, était né au sein d’une famille de liciers et de restaurateurs de tapisseries. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui les murs de Boussac accueillent une belle collection de tapisseries, creusoises et flamandes. Des inventaires anciens nous ont appris qu’en 1529, Boussac possédait 59 pièces de tapisseries ; il en subsistait 37 à la veille de la Révolution. 
Les murs de la salle des gardes nous rappellent la fonction originelle des tapisseries : embellir et protéger du froid et de l’humidité.

Honneur aux dames

Deux femmes ont marqué l’histoire ancienne de Boussac : une, évanescente et mystérieuse – la Dame à la Licorne –, l’autre, de chair et de sang : George Sand. La seconde a fait connaître la première. En 1838, le château devient la résidence du sous-préfet de La Creuse. Sand y est régulièrement invitée, quasiment en voisine, Boussac n’est qu’à une quarantaine de kilomètres au sud de son cher domaine de Nohant situé dans l’Indre.
Sand informe son ami Prosper Mérimée – écrivain de talent et inspecteur général des Monuments historiques – de la présence chez monsieur le sous-préfet d’un véritable trésor, une série de tapisseries insérées dans les boiseries de deux salles contiguës, au premier étage du château. Malheureusement, une de ces pièces est cloisonnée afin de répondre aux nécessités mondaines du sous-préfet et les trois tapisseries qui s’y trouvaient sont transportées à la mairie du village où elles sont laissées à l’abandon.
Une quarantaine d’années plus tard, l’ensemble de la tenture rejoindra le musée de Cluny. Sand pressentait, tout en le déplorant, qu’un jour La Dame à la Licorne quitterait Boussac pour être exposée à Paris : […]  je ne suis pas partisan de l’accaparement un peu arbitraire, dans les capitales, des richesses d’art éparses sur le sol des provinces. Il faut l’air de la campagne de Grenade aux fresques de l’Alhambra. Il faut celui de Nîmes à la Maison Carrée. Il faut de même l’entourage des roches et des torrents au château féodal de Boussac ; et l’effigie des belles châtelaines est là dans son cadre naturel.
À ces deux femmes qui ont tant fait pour la notoriété de Boussac – la Dame à la Licorne et George Sand –, ajoutons Bernadette Blondeau qui, avec son mari, lui a rendu son charme. Le château que l’on visite aujourd’hui est le fruit de l’histoire d’amour d’un couple qui, pendant cinq décennies, a regardé dans la même direction.
À lire :
  • George Sand, « Jeanne », 1844 ; roman se déroulant entre un village creusois, le château de Boussac et les Pierres Jaumâtres.
  • Prosper Mérimée, « La Vénus d’Ile », 1837 ; nouvelle inspirée de son expérience d’inspecteur général des monuments historiques – aujourd’hui, on dirait conservateur du patrimoine.
À quelques km de Boussac, les Pierres Jaumâtres invitent à la randonnée ! Voir aussi Le chalet des Pierres Jaumâtres.