Harriet Backer ou « le plein air d’intérieur »

Jusqu’au 12 janvier 2025, le musée d’Orsay consacre une rétrospective à Harriet Backer (1845-1932), peintre norvégienne très célèbre en son temps, qui s’est attachée à rendre les intérieurs de ses contemporains.
« Peu importe que j’aie promis d’arrêter de peindre des intérieurs, de me tourmenter avec des lignes de perspective et de me battre avec des pieds de chaise. Dès que j’entre dans une pièce aux couleurs bleues et rouges sur des meubles rustiques ou des murs mats et brillants, où la lumière réfléchie par les arbres et le ciel entre par une fenêtre ou une porte, je ne tarde pas à me retrouver devant une toile ».

 Demeures cossues ou rustiques

Ses premières scènes d’intérieur sont traitées de manière académique. Dans cette scène d’adieu peut-être à connotation autobiographique – une jeune fille quitte ses parents comme l’a fait Harriet –, les personnages semblent exprimer chacun un sentiment – grand chagrin de la mère qui nous tourne le dos, détachement du porteur de bagages, tandis que le père fait ses dernières recommandations à sa fille. Au premier plan, une table accueille une superbe nature morte.
Petit à petit, la touche de Harriet se fait plus libre à l’instar de celle des impressionnistes, ses contemporains. Elle ne peint plus des objets, mais ce que la lumière en fait ; les critiques ont d’ailleurs qualifié sa peinture de « plein air d’intérieur ». 
Dans l’appartement parisien d’une connaissance, Harriet a fait poser une amie en train de broder. La peintre saisit les vibrations de la lumière du jour qui pénètre dans la pièce par une haute fenêtre que l’on devine derrière de lourds rideaux de velours. Leur bleu profond semble se mélanger au blanc du plafond, tandis que la lumière joue sur le pot en terre cuite et sur le feuillage vert de la plante. À terre, un coussin – peut-être un hommage à celui de La Dentellière de Vermeer que Harriet avait pu admirer au Louvre. La Norvégienne a en effet vécu une dizaine d’années à Paris – de 1878 à 1888.
Ici, un mobilier d’acajou auquel la lumière du jour donne une teinte chaude, en accord avec le jaune gorgé de lumière des rideaux. L’œil est attiré par le vase bleu posé sur la table, qui donne son titre à l’œuvre.
Harriet a consacré de nombreux tableaux aux femmes, aux moments que celles-ci peuvent consacrer à la musique, à la lecture et bien sûr aux travaux d’aiguille.
Ce n’est qu’une fois accomplies les tâches domestiques que les femmes peuvent disposer de quelques heures de liberté pour lire. La liseuse est attablée près d’une lampe à pétrole dont la lumière projette son ombre sur le mur bleu et joue sur le gris du poêle.
Comme nombre de peintres de la fin du 19e siècle, Harriet Backer ajoute à une scène de prime abord atemporelle, une touche de modernité qui l’ancre dans son époque, en l’occurrence une machine à coudre – inventée par l’Américain Singer au milieu du 19e siècle.
Pour créer une œuvre, la femme doit avoir un lieu à elle – chambre ou atelier –, comme l’écrit Virginia Woolf en 1929.
Un imposant canapé rouge sur lequel un plaid a été jeté, des cadres accrochés à touche-touche, une large fenêtre donnant sur la ville, devant laquelle ont été placés des plantes vertes, une table carrée accueillant une lampe à abat-jour vert et un vase bleu… plus que son atelier (on n’y distingue que quelques moulages en plâtre, mais aucun matériel de peintre), c’est un salon confortable que la peintre a représenté !
Harriet n’a pas limité son intérêt aux salons cossus. Elle nous fait également entrer dans la pénombre d’une ferme bretonne où se côtoient humains et animaux ou dans la cuisine aux murs rouges et verts d’une cuisine norvégienne parfaitement équipée.

Intérieurs d’églises

Harriet a peint à plusieurs reprises des églises norvégiennes traditionnelles – entièrement en bois, à l’intérieur très richement peint.
Une jeune est fille assise dans la pénombre de l’église. La lumière du jour pénétrant par la porte vient éclairer son chapeau aux bords retroussés. Elle se tourne vers les personnes encore à l’extérieur, dans une belle lumière d’été.  

À écouter, à lire

Vidéo de Margaux Brugvin sur Harriet Backer
Harriet Backer, catalogue de l'exposition, musée d’Orsay et éd. Flammarion, 184 p., 39 €
Virginia Woolf, Une chambre à soi, 1929 (Il en existe deux traductions en français, la première de Clara Malraux porte le titre de Une chambre à soi, celle de Marie Darrieussecq s’intitule Un lieu à soi).