L’enseigne de Gersaint, image du négoce, reflet d’une époque
Le marchand mercier Edme-François Gersaint (1694-1750) tient boutique sur le pont Notre-Dame qui relie la rive droite de Paris à l’île de la Cité. À l’exception du Pont-Neuf, tous les ponts parisiens abritent alors des maisons. Elles seront détruites sous Louis XVI dans le but d’assainir la ville et de faciliter la circulation d’une rive à l’autre de la Seine.

Hubert Robert, « Destruction des maisons du pont Notre-Dame en 1786 », huile sur toile, 1786 ; Paris, musée du Louvre © Hervé Lewandowski
Gersaint serait oublié aujourd’hui, en tous cas moins connu, si Antoine Watteau n’avait peint son enseigne.
Les enseignes signalaient un commerce tout en servant de point de repère aux habitants d’une ville. Celle de Gersaint a immédiatement suscité l’admiration des passants et des amateurs d’art. Désireux de la protéger des intempéries – et peut-être de la convoitise des amateurs de belle peinture –, Gersaint ne l’a laissée qu’une quinzaine de jours à l’extérieur.

Antoine Watteau (1684-1721), « L’enseigne de Gersaint », imposante huile sur toile (environ 1,60 m de haut sur 3 m de large ; à l’origine, elle était plus large et cintrée), 1720, Berlin, château de Charlottenbourg.
Une représentation fidèle des lieux ?
La boutique, spacieuse et dont les murs sont couverts de tableaux, est entièrement ouverte sur la rue pavée. À l’intérieur, les employés s’affairent : qui à décrocher un miroir, qui à ranger un tableau dans une caisse, tandis que d’élégants clients admirent les œuvres en vente.
Les commentateurs du tableau ont généralement admis qu’il décrivait la boutique de manière réaliste. La remarquable étude de Guillaume Glorieux, À l’enseigne de Gersaint – qui décrit les lieux non pas à partir du tableau mais des archives –, montre le contraire. Tout d’abord, le pont Notre-Dame était vétuste et ses maisons insalubres ; quant à la boutique, elle était exiguë et très encombrée ; certaines marchandises étaient même suspendues au plafond. Watteau s’est certainement inspiré de scènes de vente réelles, mais pas forcément observées chez Gersaint. D’ailleurs, quel intérêt de peindre scrupuleusement ce que les contemporains voyaient dès leur entrée dans le magasin ?

« L’enseigne de Gersaint » (détail).
Il semble que ce soit Louis XIV qu’un commis met en caisse. Allusion à une nouvelle époque commencée avec la mort du Roi Soleil cinq ans plus tôt ou simple référence au nom de la boutique de Gersaint, Au Grand Monarque ? L’un n’empêche pas l’autre. En tous cas, le geste est significatif : emballer un tableau signifie qu’il est vendu, par conséquent que les affaires de notre marchand sont florissantes.

« L’enseigne de Gersaint » (détail).