Aubusson, terre de tapisserie
Sandrine Zilli
sandrine@histoiredumobilier.com
Aubusson est une charmante ville du sud de la Creuse où la tapisserie est reine. Deux musées y valorisent cette technique : la Cité internationale de la tapisserie et le musée du carton de tapisserie. S’y ajoutent manufactures et ateliers indépendants, le tout formant un écosystème culturel et économique dynamique.

Tour de l’Horloge, Aubusson © szilli
Point culminant de la ville, la tour de l’Horloge est un vestige des remparts qui ceignaient Aubusson jusqu’au 18e siècle. Cette ancienne tour de guet offre un beau point de vue sur l’ensemble d’Aubusson, notamment sur l’église Sainte-Croix et l’hôtel de ville de style Art déco.

Église Sainte-Croix, 13e siècle © szilli

Hôtel de ville de style art déco © szilli
L’entre-deux-guerres est une période faste pour la tapisserie d’Aubusson grâce aux commandes de l’État et au renouvellement des compositions. Un tel hôtel de ville reflète la vitalité économique de la sous-préfecture.

Quartier de la Terrade © szilli
Les toits fortement pentus rappellent la présence autrefois de petits ateliers familiaux dans les greniers, éclairés par des lucarnes.
Village de licier depuis six siècles !
L’actuel département de la Creuse faisait historiquement partie de la province de La Marche. Au 14e siècle, un comte de cette province, Louis de Bourbon, épouse Marie de Hainaut, princesse originaire des Flandres – haut lieu de la tapisserie. On attribue à cette union l’arrivée en Creuse de liciers (artisans tissant des tapisseries) flamands, qui y ont fait souche, particulièrement à Aubusson et Felletin. Technique présente partout dans le monde et remontant à la plus haute Antiquité, la tapisserie se pratiquait peut-être déjà avant ce mariage. Quoi qu’il en soit tout était propice en Creuse au dynamisme de cette activité : des troupeaux d’ovins fournissaient la laine, les plantes tinctoriales y poussaient en abondance et l’eau claire de la Creuse permettait de laver la laine et d’obtenir de belles teintures. Il semble par ailleurs que l’industrie drapière creusoise, en difficulté à la fin du Moyen Âge, se soit réorientée vers la tapisserie.

Pont de la Terrade enjambant la rivière Creuse, maison à colombages (actuel musée du carton de tapisserie) © Creuse Tourisme
Le pont de la Terrade donne accès au quartier du même nom où vivaient et travaillaient de nombreux liciers. À l’origine en bois, il a été reconstruit en pierre au milieu du 17e siècle.

Marques des crues de la Creuse, rue des Déportés à Aubusson
Si la Creuse est généralement une paisible rivière, ses débordements peuvent être impressionnants. En 1960, plusieurs manufactures ont été gravement endommagées.

La Maison du Tapissier, Aubusson © Creuse Tourisme
S’il est difficile de la dater avec précision, la maison dite du Tapissier, reconnaissable à sa jolie tourelle en encorbellement, est une des plus anciennes d’Aubusson. Échoppe de plain-pied, logement des propriétaires au-dessus et atelier de tissage sous les toits. Longtemps propriété d’une famille de liciers, les Corneille, elle accueille aujourd’hui un musée évoquant le quotidien d’un licier.
Pour en savoir +
Les hauts et les bas de la tapisserie creusoise
Dès le 15e siècle, des ateliers familiaux prennent leur essor à Aubusson. Leur renommée conduit Louis XIV à leur octroyer en 1665 le statut de manufacture royale. Contrairement à la manufacture royale des Gobelins à Paris, la manufacture dite d’Aubusson n’a jamais été constituée d’un lieu unique, mais de nombreux ateliers familiaux.
Le ministre Jean-Baptiste Colbert encourage la fabrication de produits de luxe en France afin d’en limiter l’importation et de les exporter en masse. Citons la manufacture de verre et de miroir de Saint-Gobain en Picardie, fondée dans le but de concurrencer les verriers vénitiens.
Grâce à ce statut exceptionnel, la renommée de la tapisserie d’Aubusson s’étend au-delà des frontières françaises. Cependant, à Aubusson, nombre de liciers étaient protestants. Plus de deux cents d’entre eux sont contraints à l’exil par la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 ; ils s’installent principalement en Suisse et en Allemagne. La disparition de fait de la manufacture royale d’Aubusson explique l’attribution en 1689 du statut de manufacture royale aux ateliers de Felletin, ville restée catholique. La tapisserie d’Aubusson a mis quelques décennies à retrouver son éclat.
Après les soubresauts de la Révolution française est arrivée l’époque de l’industrialisation : de grandes manufactures ont supplanté les ateliers familiaux, sans pour autant les faire disparaître. Ces grandes manufactures ont laissé leur empreinte architecturale dans la ville : longue silhouette des ateliers, teintureries aux toitures percées de claires-voies permettant aux vapeurs plus ou moins toxiques de s’échapper.
21e siècle, le réveil de la cité
Un événement récent a considérablement redynamisé la tapisserie creusoise : le classement en 2008 de la tapisserie d’Aubusson sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Après « L’imaginaire de Hayao Miyazaki » (série de tapisseries évoquant l’univers du maître de l’animation japonaise) et « Aubusson tisse Tolkien » (transposition en tapisseries et en tapis de l’œuvre dessiné de Tolkien) , un « hommage à George Sand est en cours de tissage au sein de la manufacture Robert Four.
Pour en savoir + : Aubusson tisse Tolkien
À savoir :
L’Unesco est l’agence des Nations unies en charge de l’éducation, de la science et de la culture. La connaissance et le patrimoine unissent les peuples autant que les accords politiques et économiques : telle est l’idée qui a prévalu à sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’organisation a établi une liste du patrimoine mondial, qu’elle enrichit régulièrement. Elle distingue des sites culturels et naturels – tels les alignements de Carnac qui viennent de rejoindre la liste –, mais aussi des savoir-faire, qualifiés de « patrimoine immatériel », comme la tapisserie d’Aubusson.
À suivre : La Cité de la tapisserie Aubusson, entre tradition et création