L'élégance des terres cuites Tang

Sandrine Zilli
sandrine@histoiredumobilier.com
À l’occasion de l’exposition que le musée Guimet (Paris) consacre – jusqu’au 3 mars 2025 – aux splendeurs de l’époque Tang, penchons-nous sur les terres cuites produites en masse sous cette dynastie chinoise. À quoi servaient-elles ? Comment les fabriquait-on ? Que nous disent-elles de la société Tang ?
7e- 10e siècles de notre ère. La Chine, unifiée après des siècles de divisions sanglantes, connaît une ère de prospérité et de paix. Sa capitale, Chang’an (actuelle Xi'an), se situe à la croisée d’importantes routes terrestres et fluviales communément nommées « routes de la soie ». C’est la plus grande ville du monde – environ un million d’habitants. Seules Bagdad et Constantinople peuvent alors rivaliser !

L’accompagnement dans l’au-delà

L’évocation de terres cuites chinoises nous fait immédiatement penser aux guerriers de la tombe du premier empereur de Chine Qin Shi Huangdi (3e siècle avant notre ère). Les statuettes Tang qui nous intéressent ont été réalisées un millénaire plus tard, mais, comme l’armée de Qin Shi Huangdi, il s’agit d’œuvres funéraires. Ces statuettes Tang étaient placées dans des niches creusées dans le couloir conduisant à la chambre funéraire.
En Chine, les défunts de haut rang ont toujours été accompagnés dans l’au-delà, d’abord de victimes sacrificielles – humaines et animales –, auxquelles se sont substitués des mingqi (objets funéraires) et enfin, à partir de l’époque Ming (14e-17e siècles), d’effigies de papier, brûlées lors des rituels funéraires.
Les mingqi Tang sont le fruit d’une époque d’essor économique et d’épanouissement culturel. Le commerce est florissant, la société ouverte aux influences étrangères et l’art de vivre de l’élite, raffiné. Les mingqi recréent dans son tombeau le cadre de vie du défunt, évoquant souvent la vie terrestre dans ce qu’elle a de plus agréable. Leur nombre était réglementé par des édits impériaux, mais ceux-ci n’étaient guère respectés.
Visages, vêtements et couvre-chefs reflètent la diversité ethnique.
Son couvre-chef imposant et son torse protégé d’une armure indiquent la fonction militaire de ce personnage charismatique. Ses yeux globuleux, son nez pointu et ses lèvres charnues ne laissent aucun doute : c’est un étranger !
Les figures suivantes – trois représentations d’étrangers – ont été retrouvées dans la tombe du général Mu Tai. Probablement issu d’une ethnie mongole sinisée, le général était affecté à la frontière nord-ouest de l’empire, là où les Chinois Han et les minorités ethniques du Nord entraient en contact. Visages et postures sont très expressifs – une étrange barbe borde le visage du personnage torse nu. Plus étonnant encore, l’homme noir portant un pantalon en peau de bête. Si la polychromie de son visage est lacunaire, on peut encore voir que sa peau est très foncée : il vient de beaucoup plus loin que les deux autres, d’Asie du Sud-Est.
La grâce féminine
Les mingqi Tang représentent fréquemment des femmes : musiciennes, danseuses, cavalières ou élégantes de la haute société. Les femmes jouaient dans la société Tang un rôle moins en retrait qu’aux autres périodes.
Le jeu de polo, venu du monde persan, témoigne des échanges culturels entre la Chine et son occident. Le cheval est fougueux, sa cavalière concentrée sur sa balle.
C’est également à Yang Guifei que la légende attribue l’invention de cette coiffure asymétrique. Tombée de cheval lors d’une promenade, elle se serait relevée décoiffée, finalement satisfaite de sa nouvelle coiffure !
La spiritualité n’est pas absente de ces représentations. 
Ces figures représentent les animaux du calendrier chinois, tous vêtus d’une robe aux manches tellement évasées qu’elles descendent plus bas que les genoux, vêtement caractéristique des fonctionnaires de l’époque Tang.

Des fabrications sérielles

Les mingqi étaient fabriqués en série à l’aide de moules – donc assez rapidement –, puis pour les plus beaux, repris à la main. C’est ce travail de peinture ou de glaçure qui les rend uniques, en individualisant les traits d’un visage, en rendant les détails d’un vêtement ou l’excentricité d’une coiffure ou d'un maquillage. Les pièces nécessitaient plusieurs cuissons.
Parfois la terre cuite est peinte ; parfois s’ajoute une glaçure (un émail). La période Tang a vu naître et s’épanouir la technique sancai (« trois couleurs »), une glaçure plombifère dont les couleurs sont obtenues grâce à des oxydes métalliques. L’oxyde de cuivre donne le vert, l’oxyde de fer donne une teinte allant du marron au jaune et l’oxyde de cobalt le bleu.
La dame au chignon, parfaitement conservée, a d’abord été recouverte d’un engobe (enduit) clair masquant la couleur et les aspérités de la terre, avant d’être peinte.  
Les mains et le visage de cette élégante de la cour Tang, de même que le petit chien à ses pieds sont peints, tandis que son vêtement et son siège sont recouverts d’une glaçure sancai. L’effet mat de la peinture s’oppose à la brillance de la glaçure. 
Notons que le modèle de tabouret sur lequel elle est assise était, dans la vie réelle, fabriqué en rotin en Asie du Sud-Est, autre exemple des échanges commerciaux au long cours.
La glaçure peut être appliquée en suivant avec le plus grand soin un décor incisé ou légèrement en relief – comme par exemple sur la crinière de ce cheval – ou en coulures. Ces dernières, qui semblent aléatoires, nécessitent une grande dextérité de la part du céramiste. Importé de Perse, le cobalt (qui donne le bleu) était cher et par conséquent utilisé avec parcimonie.
Les Chinois n’accordaient guère de valeur marchande à ces terres cuites, ce qui explique que beaucoup sont restées dans les tombes alors que celles-ci avaient été pillées. C’est l’intérêt porté à ces élégants mingqi par les collectionneurs européens à partir du 19e siècle qui encourage les Chinois à en fabriquer des copies.
Conseil de lecture :
Yasushi Inoué, « La favorite », 1963 (publié en français en 1991), roman inspiré de Yang Guifei, favorite impériale.
« La Chine des Tang. Une dynastie cosmopolite », catalogue de l’exposition du musée Guimet, coédition musée Guimet/Grand Palais-RMN, édition bilingue français/anglais ; 302 p., 39 €
Visuel annonçant l’article : Joueuse de luth (faisant partie d’un ensemble de musiciennes), terre cuite peinte, fin du 7e siècle ; New York, The Metropolitan Museum of Art, fonds Rogers, 1923