Les Nabis, maîtres de la décoration

Sandrine Zilli, diplômée en histoire de l'art – école du Louvre
Jusqu’au 30 juin 2019, le musée du Luxembourg expose les Nabis, peintres décorateurs qui ont participé au foisonnement des arts décoratifs dans la dernière décennie du XIXe siècle.

Tous les arts à égalité


Dans la lignée du mouvement Arts and Crafts (né en Angleterre dans les années 1860) et à l’instar des représentants de l’Art nouveau (leurs contemporains), les Nabis cherchent à abolir la hiérarchie entre arts majeurs – architecture, peinture, sculpture – et arts mineurs – relevant de la décoration. Ils accordent ainsi la même importance à la conception d’un papier peint, d’un vitrail, d’une tapisserie ou d’une peinture. Pour eux, l’art est une unité qui a à sa disposition une multitude de techniques.

Ce carton de vitrail fait partie d’un ensemble de vitraux commandés à divers artistes nabis par le marchand Samuel Bing afin d’être réalisés à New York par Louis Comfort Tiffany. Le découpage retenu par Vuillard évoque la croisée d’une fenêtre. Le spectateur semble jeter un œil à la rue, largement masquée par les frondaisons de marronniers – qui ont d’ailleurs donné leur nom à la composition. Chacune des feuilles devait être sertie de plomb.


« Il n’y a plus de tableaux, il n’y a que des décorations, il nous faut des murs à dessiner »

Bonnard avait dans un premier temps conçu quatre hauts panneaux verticaux destinés à être assemblés en paravent. Finalement, « j’en ai fait quatre panneaux séparés. Ils font mieux contre un mur. C’était trop tableau pour un paravent », écrit-il à sa mère. Ainsi démembré, l’ensemble constitue le premier ensemble décoratif proprement nabi – nous sommes alors en 1891. La silhouette féminine est plaquée sur un fond traité dans le style pointilliste. L’absence de perspective illusionniste et d’effets d’ombre et de lumière tout comme la couleur posée en aplats dénotent l’influence de la peinture japonaise, très en vogue en cette fin du XIXe siècle.

Ce tableau fait partie d’un décor réalisé par Vuillard pour l’appartement parisien de Thadée Natanson, principal animateur de La Revue blanche – consacrée à l’actualité littéraire et artistique – et par ailleurs dreyfusard. Cet ensemble décoratif se composait de cinq panneaux de format divers, dispersés dès 1908. Sur chaque panneau, de jeunes femmes se confondent avec leur intérieur. Vases, fleurs, et tapisserie murale ont autant d’importance qu’elles. C’est d’ailleurs le superbe corsage de l’une d’entre elles qui donne son nom à ce tableau.

Cet ensemble de quatre panneaux a été peint pour un petit espace intime, la bibliothèque du Dr Vaquez, cardiologue de renom et amateur d’art contemporain. En parfait accord avec les préceptes des Nabis, Vuillard insiste sur la planéité. Les personnages semblent absorbés par un intérieur de tissu, créant une ambiance feutrée adaptée à une bibliothèque. Vuillard a probablement pris pour modèle ses proches – mère, grand-mère, sœur – mais aussi les couturières de l’atelier de confection que sa mère a installé dans leur appartement pour subvenir aux besoins de la famille.

Maurice Denis conçoit cette composition pour un plafond, d’où la vue en contre-plongée. Quatre jeunes femmes gravissent une échelle. Le thème est étrange, peut-être plus profond qu’il n’y paraît : elles ne grimpent pas à l’arbre pour cueillir ses fruits – on n’en voit aucun et elles ne portent pas de paniers ; elles s’élèvent au-dessus des contingences matérielles. Des trouées dans les frondaisons laissent voir des nuages tout aussi décoratifs que les robes et les chevelures (dont les volutes rappellent l’Art nouveau). La tonalité beige rosé des visages et des vêtements tranchent sur le vert des feuillages.

Les Nabis et le décor, Bonnard, Vuillard, Maurice Denis : jusqu’au 30 juin 2019 au musée du Luxembourg : 19, rue Vaugirard, Paris 6e ; pour en savoir plus : musée du Luxembourg